L’accès à la formation universitaire publique en Suisse est garanti à toutes et tous les détenteurs d’une maturité gymnasiale. Il ne devrait pas être influencé par le contexte familial ou le niveau de formation des parents. Pourtant, on observe une diminution de la représentation des enfants de familles dont aucun parent n’a obtenu de diplôme d’une haute école – étudiantes et étudiants de première génération – à mesure que l’on progresse dans le système éducatif, de l’école obligatoire à la formation universitaire. Cette tendance est plus marquée dans les filières scientifiques. Dans cette data story, nous approfondissons cette thématique en examinant spécifiquement la dernière transition entre le gymnase et l’EPFL, en prenant en compte les différentes Options Spécifiques de la maturité gymnasiale.
Mixité sociale dans les filières MINT : une analyse de la transition entre le gymnase et l’EPFL
Notre data story publiée en avril 2023 a révélé une différence significative entre la proportion d’étudiantes et d’étudiants de première génération parmi les élèves obtenant leur maturité gymnasiale et le corps estudiantin de l’EPFL. Nous avons réalisé une enquête auprès des élèves et du corps enseignant des écoles de maturité gymnasiale en Suisse romande pour mieux comprendre ce phénomène. Les analyses supplémentaires et un nouveau jeu de données permettent de jeter un nouveau regard sur cette thématique.
Environ 54% des élèves avec une formation antérieure suisse qui viennent à l’EPFL ont suivi l’Option Spécifique Physique et Application des Mathématiques (OS PAM), 26% l’Option Spécifique Biologie & Chimie (OS BiolChim) et 20% une autre Option Spécifique (OS). L’enquête réalisée auprès des élèves des gymnases romands avait pour but d’explorer les corrélations entre certains choix de cursus scolaire, l’origine sociale et l’intention d’étudier à l’EPFL. En plus de pouvoir sélectionner une OS, les élèves ont le choix entre le niveau standard et renforcé en mathématiques pour la maturité gymnasiale. Le niveau renforcé est recommandé pour ceux qui envisagent de poursuivre une formation scientifique, technique ou économique [références: NE, GE, VD]. L’enquête demandait à toutes les personnes qui ont indiqué vouloir étudier une discipline présente à l’EPFL quels aspects les motivent ou, a contrario, les démotivent à envisager des études dans notre établissement.
Pas de barrière insurmontable
En 2023, nous avions observé une différence importante de la proportion d’étudiantes et d’étudiants de première génération parmi les personnes qui étudient à l’EPFL (32%) et parmi celles qui obtiennent une maturité gymnasiale (52%). Cette différence faisait craindre une importante perte de diversité spécifique à la transition entre la maturité gymnasiale et l’EPFL.
Or, un récent couplage de données internes à l’EPFL avec des données de l’OFS nous permet une analyse plus détaillée, notamment en tenant compte du niveau de mathématiques, pour les personnes qui ont débuté le cycle propédeutique à l’EPFL entre 2016 et 2021. En examinant ces résultats, nous constatons que le pourcentage d’étudiantes et d’étudiants de première génération est plus faible en cycle propédeutique à l’EPFL que parmi l’ensemble des élèves qui ont obtenu leur maturité gymnasiale pour chaque OS. Néanmoins, l’écart constaté est beaucoup moins important que la différence décrite dans notre data story d’avril 2023. En première année à l’EPFL, 36% du corps estudiantin de l’EPFL est de première génération. Au niveau gymnasial, les différences du taux d’étudiantes et d’étudiants de première génération selon l’OS sont non négligeables. L’EPFL attirant principalement des élèves avec une formation antérieure scientifique – en particulier venant de l’OS PAM – ces différences ont un impact sur la mixité sociale dans notre école. De plus, il existe aussi des différences régionales comme le montre la comparaison de la diversité en OS PAM pour l’ensemble de la Suisse par rapport à la distribution en Suisse romande. Différence qui se répercute également sur la diversité à l’EPFL.
Les élèves en OS PAM fidèles à l’EPFL indépendamment de leur origine sociale
L’enquête que nous avons menée montre que pour les élèves en OS PAM, il n’y a pas de différence significative dans leur intention de venir étudier à l’EPFL selon leur origine sociale. Environ 60% de ces personnes projettent des études à l’EPFL, 10% sont décidées à aller ailleurs et 30% hésitent encore au moment du sondage. Des différences peuvent être observées entre femmes et hommes, mais pas selon l’origine sociale parmi des élèves du même sexe.
Les étudiantes de première génération montrent moins d’intérêt à venir à l’EPFL
Le niveau de maths de la maturité gymnasiale est corrélé à la réussite à l’EPFL (voir notre data story de novembre 2023). L’enquête montre que l’EPFL n’attire pas de la même manière toutes les personnes ayant suivi le niveau de mathématiques avancé. En particulier, les étudiantes de première génération ayant suivi le niveau de mathématiques renforcé et exprimant un intérêt pour les domaines enseignés à l’EPFL sont moins déterminées à venir à l’EPFL que leurs homologues issues de familles académiques. Les étudiants masculins de première génération n’ont pas montré cette différence de comportement. Nous constatons que parmi toutes les personnes indiquant ne pas vouloir étudier à l’EPFL, la principale raison invoquée est que leur discipline privilégiée n’y est pas enseignée.
Une question sociétale
L’EPFL prend des mesures pour faciliter l’accès et améliorer l’encadrement des étudiantes et des étudiants de première génération, mais il est également crucial d’agir en amont.
Le Rapport 2023 sur l’Éducation en Suisse rappelle que “l’accès aux hautes écoles dépend de l’origine sociale. Les enfants issus de familles universitaires ont nettement plus de chances de fréquenter et d’acquérir un titre d’une haute école que les enfants dont les parents n’ont pas étudié”. De plus, le rapport souligne que l’augmentation du niveau de formation de la population dans une région est corrélée à l’augmentation du taux de maturité gymnasiale.
L’orientation des élèves, qu’elle soit explicite ou implicite, commence bien avant la transition du gymnase vers les hautes écoles. Les tendances récentes ne favorisent pas une plus grande mixité dans les disciplines MINT au niveau universitaire. Déjà en 2013, les étudiantes et étudiants de première génération choisissaient proportionnellement moins l’OS PAM que les élèves issus d’une famille académique. Cet écart s’est depuis creusé : les enfants issus de familles académiques montrent un intérêt croissant pour les options scientifiques au détriment des langues modernes. En revanche, la répartition des étudiants de première génération évolue moins rapidement. Le pourcentage de ces élèves obtenant une maturité en OS PAM est resté stable entre 2013 et 2022. Cette situation réduit encore la mixité sociale parmi les profils classiques (OS PAM, mathématiques renforcées) menant à l’EPFL.
Conclusion
Pour atteindre un équilibre plus juste et inclusif dans les domaines des sciences et des technologies, il est primordial d’intervenir en amont du cursus éducatif, en particulier lors des choix d’options spécifiques et du niveau d’études secondaires. Bien que ces observations ne soient pas nouvelles, la question cruciale reste celle de la manière dont nous pouvons rompre la dynamique actuelle et encourager un changement profond dans le système de formation. Plusieurs facteurs entrent en jeu, tels que la surreprésentation des filles au gymnase, la perception des carrières scientifiques, la structure et le niveau d’exigence des options spécifiques, ainsi que le système d’orientation précoce.
L’EPFL met en place diverses initiatives pour soutenir les futurs étudiantes et étudiants dans leur processus de choix de filière, leur permettant ainsi de prendre des décisions éclairées et de débuter leurs études dans les meilleures conditions possibles. Cette sensibilisation en amont est essentielle et son développement pourrait significativement renforcer la mixité sociale au sein des disciplines MINT.
Enquête auprès des élèves des écoles de maturité gymnasiale
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Juin 2024
Sarah Gerster, Omar Ballester, Tristan Maillard