Les programmes européens sont un outil essentiel pour garantir l’excellence scientifique et augmenter l’impact de l’EPFL. Au-delà des 600 emplois qui en dépendent directement, ils favorisent son attractivité pour les talents internationaux, sa capacité à collaborer et renforcer son leadership académique et industriel. Ils permettent aussi à ses start-up de croître et ses partenaires industriels d’avoir un accès aux marchés stratégiques.
Depuis 2021, la Suisse n’est plus associée aux programmes européens. Les effets sur la compétitivité de la recherche helvétique se feront sentir que sur le long terme, mais les premiers signes de son érosion apparaissent. C’est en particulier le cas pour l’EPFL où nous observons une baisse du nombre de collaborations européennes que nos chercheuses et chercheurs sont invités à rejoindre, des premières délocalisations de start-up, ainsi que de l’exclusion des projets et des marchés jugés stratégiques par l’Union Européenne, en particulier dans le domaine du quantique.
Fin du Leadership académique
Jusqu’en 2021, Les programmes européens permettaient aux chercheuses et chercheurs de l’EPFL de proposer et de diriger des projets collaboratifs. Ils avaient ainsi la possibilité de participer à la définition de l’agenda académique, ainsi que d’influer potentiellement sur les technologies que les entreprises décident d’adopter. Entre 2014 et 2020, l’EPFL a ainsi dirigé jusqu’à 6 nouveaux projets chaque année dans le cadre du programme H2020, en particulier dans les domaines de la robotique, de technologies quantiques et de l’énergie verte.
En raison de la non-association de la Suisse au programme Horizon Europe, l’EPFL n’ont plus la possibilité de diriger des projets, le leadership se déplace ainsi dans d’autres pays pleinement associés à Horizon Europe.
Financement stable
Les programmes européens favorisent aussi les collaborations internationales en offrant un cadre unique. La participation à ces projets collaboratifs reste possible. Leur financement est assuré par des mesures transitoires gérées par le Secrétariat à l’Education, la recherche et l’innovation (SEFRI). Grâce à ces mesures, le niveau de financement pour l’EPFL reste stable pour 2022; ses chercheuses et chercheurs ont levé cette année un total de 29 millions CHF dans les projets collaboratifs du programme Horizon Europe. En moyenne, ils levaient le même montant lors des 7 ans du précédent programme H2020.
Nombre de nouvelles collaborations en baisse
Les mesures transitoires atteignent cependant leur limite. Les premiers projets financés par le Secrétariat à l’Education, la recherche et l’innovation (SEFRI) étaient issus de collaborations préexistantes à la non-association.
Nos partenaires européens ont de moins en moins tendance à inclure nos chercheuses et chercheurs dans leurs nouveaux projets; En 2022, l’EPFL était invitée à être partenaire dans 130 projets. C’est 20% de moins que la moyenne des 7 années précédentes (2014-2020).
Cette diminution atteint 64% pour les réseaux Marie Sklodowska-Curie. Etant donné qu’une partie de ces projets sont en cours d’évaluation, les effets de cette baisse sur le niveau de financement pourra se faire sentir à partir de 2023.
Technologie Quantique – de partenaire à concurrent stratégique
Depuis le début de la non-association au programme Horizon Europe, l’EPFL a expérimenté à deux reprises une exclusion de facto de projets dans des domaines jugés stratégiques par l’Union Européenne, en particulier les technologies quantiques. En effet, deux projets liés aux technologies quantiques dans lesquels l’EPFL participait ont été refusés en 2022 en grande partie à cause de la présence d’un partenaire Suisse. Les évaluateurs estimaient en effet que la présence d’un partenaire helvétique était un risque pour l’autonomie stratégique de l’Europe.
En plus de Horizon Europe, il existe plusieurs autres programmes financés par l’UE/l’Europe. L’un d’entre eux, Digital Europe, est axé sur les technologies du numérique, incluant aussi le quantique. Les entreprises et les académiques Suisses n’ont accès ni à ses appels à projets, ni à ses appels d’offres. C’est en particulier le cas pour l’infrastructure de communication quantique européenne (EuroQCI).
Délocalisation de start-up
En avril 2022, la start-up Ligentec, active dans des technologies quantiques, a annoncé qu’elle délocalisait une partie de son activité de recherche et développement en France. Ce choix est en partie lié à la dégradation des conditions cadre en lien avec la non-association.
Les programmes européens étaient en effet un outil de croissance pour les start-up de l’EPFL, grâce au financement de l’European Innovation Council (EIC). L’EIC est aussi un outil important pour les start-up pour se faire connaître et collaborer avec leurs futurs clients européens, par le biais des projets collaboratifs.
Les collaborations d’aujourd’hui sont les emplois de demain
L’exemple de Ligentec est particulièrement frappant. Les effets de la recherche sur la création d’emplois et de technologies peut prendre du temps. Dans ce cas, elle est le résultat de plus de 10 ans d’investissement par l’EPFL dans la recherche quantique, ainsi que 36 millions CHF de fonds européens depuis 2013 dans le groupe du Professeur Kippenberg. La croissance de Ligentec elle-même a aussi été rendue possible grâce aux programmes européens. Elle emploie aujourd’hui 30 personnes sur son site de Lausanne, mais 8 personnes sur son site français.
La non-association aujourd’hui aux programmes européens correspondra potentiellement aux emplois qui, dans 10 ans, ne seront pas créés en Suisse, mais au sein de l’Union Européenne.
La Suisse Romande particulièrement à risque
Entre 2014 et 2020 dans le cadre du programme européen précédent H2020, la Suisse est parvenue à lever 2,425 milliards EUR. 43% de cette somme, ou 1 milliard d’Euros, a été attribuée à des activités en Suisse Romande, dont 600 millions EUR aux hautes écoles et 154 millions EUR aux entreprises de la région.
Les premiers effets immédiats de la non-association de la Suisse aux programmes européens sur l’EPFL apparaissent. Nous observons une érosion de sa compétitivité; le nombre de collaborations diminue, l’accès aux marchés européens pour nos technologies se restreint, les premières start-up délocalisent une partie de leurs activités. Une continuation de ses effets négatifs est à craindre. C’est pourquoi l’EPFL continue à suivre de près la situation et met à jour de manière régulière ce rapport.
09 Février 2023.
Tristan Maillard, Nina Eggert, Caroline Vandevyver