Adolphe Appia et l’espace théâtral

4 – 18 novembre 1981


Exposition réalisée par Pro Helvetia

Comment vivre l’espace? Comment le penser, le structurer? Comment représenter l’espace? A ces questions, chaque époque, chaque civilisation ont fourni leurs réponse. La Renaissance est une de ces périodes de cristallisation. La fin du XIXe en est une autre.

Né en 1862 à Genève, Adolphe Appia décide à 25 ans de travailler à “la réforme de la mise en scène” pour réagir contre la conception de la mise en scène en cours jusqu’en 1865, date de l’inauguration de l’Opéra de Paris : la scène reste séparée de la salle; tout concourt à éloigner la scène pour renforcer l’illusion et grandir un monde de héros : l’espace y est truqué : des toiles tremblotantes pendent aux divers plans de la scène et se combinent tant bien que mal avec des praticables lourds et d’une esthétique douteuse : l’ensemble jure avec le plancher du plateau qui affiche ses lattes de bois et son intouchable platitude.

Appia va mettre de l’ordre, substituer à la coexistence d’éléments antagonistes une ordonnance fonctionnelle qui tire son pouvoir expressif de la hiérarchisation des moyens d’expression scénique. Qu’est ce que l’art de la mise en scène sinon “l’art de projeter dans l’espace ce que le dramaturge n’a pu projeter que dans le temps”?

Dès 1892, les esquisses d’Appia sont révolutionnaires dans leur stylisation : formes primaires, murailles sans époque, escaliers, pentes, où jouent l’ombre et la lumière comme dans ces fameux espaces scéniques conçus vers 1909-1910 à l’intention de Jacques Dalcroze et destinés à la mise en valeur du corps humain sous les ordres de la musique”.

L’espace construit par Appia est donc fonctionnel par rapport au drame, à l’acteur. Il devient le tremplin de ses évolutions mais il est aussi profondément expressif et émotif : non seulement parce qu’Appia imagine comme une hiérarchie des plans en profondeur mais parce qu’il anime l’espace au gré d’une lumière mobile et changeante et par là même le dote d’une vie propre susceptible de nous toucher au plus profond de nous-mêmes.

Appia ne s’arrête pas là: des formes simplifiées, il passe aux formes standardisées : cubes, marches, paravents, un appareillage qui se combine là encore avec la lumière. Il brise résolument l’immobilité de l’espace scénique en adaptant la mobilité des éléments à la fluidité musicale; il supprime les ruptures entre les tableaux, il garantit au drame son unité temporelle et, à travers sa métamorphose, sa continuité spatiale.