11 – 25 janvier 1978
Exposition réalisée par le Centre de Création Industrielle, Centre Georges Pompidou, Paris
La société du XIXe siècle, incapable de prendre en charge le destin des ouvriers, se borne à tenter de résorber la montée du péril socialiste en proposant à l’ouvrier ses propres valeurs bourgeoises : la propriété et la famille. De nombreux réformateurs sociaux se penchent sur la question de la condition ouvrière. L’un d’eux, Charles Fourier, consacre son oeuvre à la mise au point d’un système de réconciliation du travail et du capital. A cette fin, il imagine un type d’architecture particulière : le phalanstère, sorte de palais communautaire où tout est minutieusement réglé pour assurer le bonheur d’une population fixée à 1800 âmes. Ce projet, pour utopique qu’il soit, enthousiasme un industriel idéaliste, Jean-Baptiste Godin. Son intention est de rapprocher les hommes par une forme d’architecture supérieure. L’expérience aboutit : 11709 personnes habitent un palais dont la construction s’achève à Guise en 1880, comprenant services communs, crèche, école, théâtre et jardin d’agrément. le familistère peut être considéré comme un exemplaire caractéristique d’urbanisme utopique : modèle spatial déterminé à priori en vue d’assurer le progrès social et le bonheur de ses occupants par une organisation rationnelle et hygiénique de l’espace. Mais il en a aussi tous les inconvénients par son incapacité d’absorber des besoins nouveaux et à dissoudre dans son mouvement exemplaire les oppositions économiques et morales qu’il suscite.
Abondamment commentée mais jamais répétée, cette expérience devait progressivement perdre sa valeur de modèle au fur et à mesure qu’elle acquérait une valeur d’enseignement en tant que témoignage historique. La composition urbaine générale est définie vers 1858 ; elle fixe le cadre des différentes campagnes de construction menées entre 1860 et 1880. L’organisation géométrique de l’espace s’impose à la topographie irrégulière du site. La place centrale du Familistère se trouve à la croisée de deux axes constitutifs : l’axe “économique” est-ouest de communication avec l’usine au-delà de la rivière et l’axe ” social ” nord-sud qui va de la nourricerie au théâtre. Sur la rive nord de la place s’élèvent les immeubles d’habitation : trois parallélogrammes juxtaposés et reliés par un angle forment le corps principal en retrait et les deux ailes du palais dont la façade qui regarde la ville de Guise se développe sur 170 mètres. Pour des raisons économiques et parce qu’une telle entreprise sociale et culturelle doit procéder par étapes, Jean-Baptiste-André Godin construit les pavillons l’un après l’autre, d’est en ouest. Après l’achèvement du troisième immeuble en 1878, près de 350 appartements sont proposés en location aux familles des employés de l’usine sur la base d’un prix au mètre carré, variable selon l’étage et l’exposition. 1200 habitants vivent alors au Palais social. En plus des conditions financières avantageuses, les locataires bénéficient d’un confort et d’une qualité de services inégalés à cette époque dans le logement des classes populaires ou moyennes. Le Palais social n’a cependant pas que des attraits pour la première génération de familistériens. Les vertus de l’habitation collective suscitent des réticences auprès d’une population majoritairement d’extraction rurale. L’architecture et l’histoire du palais sont marquées par la tension entre la discipline collective et la liberté des individus dans l’espace commun ou la sphère privée. Le Palais est une partie de l’apport de Jean-Baptiste-André Godin au capital de l’Association coopérative du Capital et du Travail créée en 1880.
Les associés sont devenus collectivement propriétaires des immeubles tout en restant individuellement locataires de leur appartement. Après la dissolution de l’Association coopérative en 1968, les logements du Palais social ont été mis en vente à prix modéré par Godin S.A. Les appartements ont parfois été acquis par leur ancien locataire. Des propriétaires bailleurs privés ont saisi l’occasion d’investir avec profit un capital. En une vingtaine d’années, la population du Palais social a été largement renouvelée par l’arrivée d’habitants sans lien avec le Familistère ou l’usine. Les logements ont été transformés, agrandis, pas toujours modernisés. En 2002, on recensait dans l’ensemble des trois bâtiments d’habitation 202 logements dont un tiers était vacant. Sans unité coopérative, le Palais social avait perdu son sens et son attrait.