La propreté de nos villes scientifiquement mesurée
Des chercheurs de l’EPFL ont développé un système permettant de mesurer la propreté des villes selon des critères objectifs. Pour la première fois, les autorités pourront disposer de données scientifiques pour organiser le nettoyage urbain, un secteur dont le budget se chiffre en millions.
D’un côté, des caméras fixées sur des véhicules, filmant les rues d’une ville. De l’autre, un programme informatique capable de localiser tous les objets présents sur les images filmées, d’y reconnaître les déchets et de les classifier, et ce ultra-rapidement.
Ce système, mis en place par un chercheur du Laboratoire de traitement des signaux 5 en collaboration avec la start-up Cortexia, la Haute-Ecole Arc et plusieurs villes de Suisse, permet d’établir un état des lieux factuel du degré de saleté des rues d’une ville, en sachant quels déchets se trouvent à quels endroits, quelles zones sont les plus encombrées et à quel moment.
Grâce à ce système, les villes pourront prendre de meilleures décisions quant aux machines de nettoyage à acheter et le nombre, la fréquence de nettoyage des rues ou encore les zones à nettoyer plus souvent ou avec des déchets présentant plus de risques. Et donc potentiellement, économiser beaucoup d’argent sur un budget chiffré en millions. Cette démarche scientifique a fait l’objet d’une publication dans Computer Vision Systems.
La propreté définie sur des perceptions
En l’absence de critères mesurables et scientifiques, c’est en effet sur des perceptions humaines que se basent actuellement les villes pour organiser leur système de nettoyage. «La propreté est un critère primordial pour les autorités, qu’il s’agisse du bien-être des citoyens, de l’attractivité touristique ou économique», explique Mohammad Saeed Rad, assistant scientifique au sein du Laboratoire de traitement des signaux 5. «Mais aujourd’hui, elles n’ont pas les outils pour gérer ce domaine à partir de mesures objectives.»
Chaque cité décide donc de son niveau de propreté selon des stratégies personnelles. La ville de Zurich par exemple, envoie plusieurs fois par année des personnes parcourir les rues, évaluer les déchets qu’elles trouvent sur leur route – bouteilles, mégots de cigarette – , pour en déduire l’état de propreté global. D’autres demandent à leurs citoyens leur perception de telle ou telle zone, pour en tirer les mêmes conclusions.
Un programme qui reconnaît chaque déchet
Pour obtenir un état des lieux factuel, le chercheur équipe des véhicules avec des caméras à haute résolution. Celles-ci filment les routes, et donc tous les objets qui s’y trouvent. Les images sont analysées par un ordinateur, programmé pour détecter automatiquement chacun des objets filmés, décider si celui-ci fait partie ou non de l’une des 25 catégories répertoriées comme «déchets» – pet, journal, mégots, feuilles d’arbre -, et le classer automatiquement dans la catégorie qui lui correspond.
Si l’ordinateur reconnaît et classifie les déchets, c’est grâce à un «entraînement» que lui donnent les chercheurs, selon le principe de machine learning. Les scientifiques lui montrent le plus d’images de déchets possibles, sous toutes leurs formes, qu’il finit par reconnaître automatiquement. «Nous sommes encore en train d’améliorer la performance, en enrichissant notre base de données», précise Mohammad Saeed Rad. «Plus le programme aura vu de variantes, moins il fera d’erreur dans la reconnaissance et le classement des ordures.»
Détecter le tout petit dans toutes les conditions
Or pour reconnaître automatiquement un mégot de deux centimètres, à partir d’images filmées à plusieurs mètres du sol, et ce à une vitesse de deux plans par seconde, le chemin des chercheurs a été semé d’embûches.
«Au début, nous avions choisi de fixer les caméras sur les voitures de nettoyages des villes, car à priori, elles parcourent les endroits les plus sales. Ensuite, nous nous sommes rendus compte avec nos villes partenaires que certaines zones stratégiques comme des parcs ou des aires de jeux n’étaient pas accessibles aux véhicules. Nous avons donc développé notre système aussi pour les vélos», indique Mohammad Saeed Rad. Les scientifiques ont également fait des tests sous la pluie ou à la faible lumière de l’aube, pour s’assurer de la fiabilité du programme.
Un système à la carte
Pour le moment, les chercheurs ont indexé 25 catégories de déchets. Cette liste sera personnalisable. «Les autorités pourront décider quelles catégories elles souhaitent inclure ou non, selon ce qu’elles considèrent comme des déchets ou leurs moyens de nettoyage», souligne le scientifique.
L’un des objectifs de Cortexia et du chercheur est également de lier la reconnaissance des objets à une réaction. «Des tessons de bouteilles sont plus dangereux que des chewing-gums et devront peut-être être nettoyés en priorité, tout comme des déchets n’auront pas le même impact s’ils sont dans un parc avec des enfants ou peu accessibles», conclut Mohammad Saeed Rad.