La circulation occupe une place primordiale dans le projet de l’EPFL. Si les bâtiments de la première étape sont fondés sur une trame régulière, la circulation qui en connecte les différentes parties s’affranchit de la rigidité de la grille pour générer des espaces d’échange et de rencontre qui favorisent les interactions sociales. La variété des espaces offerts au fil des différents parcours reproduit au sein de l’école la richesse des cheminements d’une ville. La « rue principale », surélevée, piétonne et a l’air libre, se distingue ainsi par son caractère urbain, qui s’étend potentiellement jusqu’aux zones alentours.
Les entrées principales
Dans les premiers bâtiments de l’EPFL, la conception des circulations concilie les principes rationnels de la grille et des qualités plus directement liées à la vie des usager·ère·s de l’école. L’entrée principale de l’école se situait à l’origine au milieu de cette grille, à l’articulation entre le Centre Est et le Centre Midi. Ce point-clef, déterminé par l’intersection de la route avec le corps principal de l’école, est, aujourd’hui encore, surélevé par rapport au sol. Ce croisement a longtemps constitué un lieu charnière, puisqu’il était le point de convergence des étudiant·e·s qui arrivaient en transports publics sur le site de l’EPFL. Pour marquer l’entrée, l’architecte du projet imagine ici deux escaliers monumentaux. Etant donné que le projet est une construction rayonnante dépourvue d’une façade principale, il faut en effet pouvoir facilement identifier les points d’entrée dans le bâtiment. C’est seulement suite à l’arrivée de la ligne de métro M1 en 1991 que le système d’origine est remis en question par le nouveau flux d’usager·ère·s arrivant depuis l’arrêt EPFL au nord-ouest de l’école.
La séparation des niveaux
Le projet ne se limite pas à régler les circulations au sein de l’école. Il vise à intégrer le bâtiment à l’échelle du quartier et des agglomérations alentours. L’école étant pensée pour fonctionner comme une ville à petite échelle, la question de la séparation des flux est primordiale. La stratification hiérarchisée des programmes répond à cette nécessité. Les voitures et les transports en commun circulent au niveau du sol. Les piétons circulent quant à eux sur un niveau principal situé en hauteur et à l’air libre (niveau +2, à 8.40 m du sol), ainsi affranchi des flux automobiles. Les circulations piétonnes devaient essentiellement se concentrer sur les toitures-terrasses des bâtiments, tantôt à l’air libre, tantôt abritées, de manière à favoriser les échanges sociaux.
L’épine dorsale
L’unité du projet est en grande partie assurée par le corps de bâtiment longitudinal allant de l’Esplanade à l’UNIL. Ce long volume, souvent comparé à une épine dorsale, abrite la grande rue intérieure pensée comme le prolongement naturel des espaces de vie extérieurs. Plusieurs terrasses jalonnent ce parcours. Quant au mobilier urbain et à la végétation, ils invitent le public à s’arrêter et à profiter de ces zones de détente, qui font pour la plupart face aux restaurants et aux cafétérias. Cette artère relie ainsi non seulement les installations dédiées à l’enseignement, mais elle offre aussi un généreux espace à vivre, pensé comme un espace urbain, une rue. C’est sur cet axe qui, potentiellement, aurait pu être développé en direction de l’UNIL, que les flux d’étudiant·e·s sont les plus importants.
Les zones d’intersection
Les zones d’intersection entre l’épine dorsale longitudinale et les bâtiments transversaux sont des point-clefs devant assurer une transition fluide dans le sens vertical et horizontal. Comme dans une ville, elles permettent de démultiplier les possibilités de circulation. Suivant l’axe et le niveau choisi pour relier un point A à un point B, l’espace de circulation pourra être à l’air libre, couvert, intérieur, fortement éclairé, ombragé, ample, étroit, habité ou silencieux. Cela permet de casser la monotonie du schéma circulatoire « couloir – salle – couloir » et de stimuler les usager·ère·s tout en reproduisant, à plus petite échelle, la qualité des villes européennes. Celles-ci offrent en effet aux piétons une multiplicité de parcours pour atteindre la même destination, chaque possibilité comportant ses caractéristiques propres. C’est ce principe qui est appliqué ici.
La flexibilité de la grille
Le recours à la grille permet de contrôler un édifice aussi important que celui de l’EPFL dans la gestion des surfaces et de la construction. Néanmoins elle est peu appropriée au mode de vie organique des usager·ère·s, dès lors que nous ne nous déplaçons pas selon deux axes uniquement, comme des reines sur leur échiquier. C’est pourquoi Jakob Zweifel imagine un assouplissement de cette grille. Sur le plan constructif, rien ne change, puisque les angles droits sont conservés, mais ces formes assouplies permettent de proposer une atmosphère spatiale plus intime et plaisante pour les usager·ère·s du bâtiment.
La circulation, facteur d’échanges et de rencontres
En assouplissant les « rues » rectilignes, l’architecte ménage des sortes d’alcôves qui génèrent des espaces de stationnement juxtaposés à l’espace de circulation. Cela rythme le parcours et contribue à rompre la monotonie rectiligne. Plus encore, cela permet de dépasser l’espace de pure circulation pour le hisser au rang d’espace de vie. Cette opération est essentielle pour donner une dimension urbaine au projet et transformer les couloirs en véritables rues. En sortant d’une salle de classe, les usager·ère·s se retrouvent directement dans un espace de vie, comme s’ils sortaient du coiffeur ou de l’épicerie, se voyant ainsi projetés dans l’espace bouillonnant de la rue.
La ville et la machine
L’organisation des circulations pour les bâtiments de la première étape de l’EPFL repose essentiellement sur deux principes : d’un côté, l’optimisation des circulations, qui dérive d’une conception rationnelle des principes constructifs et du tracé régulateur ; de l’autre, la mise en valeur de la variété des déplacements et des espaces de vie à l’intérieur même de la grille. La richesse du projet s’exprime à travers cette relation duelle entre efficacité et qualité, et entre deux conceptions distinctes de ce que devrait être l’école du 21e siècle : la machine et la ville.
Grégory Dos Santos, Cécile Attardo (EPFL, architecture)
Crédits iconographiques
ACV/Médiathèque EPFL Archives de la construction moderne, EPFL, Fonds Jakob Zweifel (ACM)
Archives cantonales vaudoises, Fonds Claude Nicod (ACV)
Robert BAMERT, « Ecole polytechnique fédérale de Lausanne – Implantation de la première étape à Écublens », Das Werk, vol. 63, no 2, 1976, pp. 93-100 (Bamert, 1976)
Maurice COSANDEY (dir.), Histoire de l’École polytechnique Lausanne : 1953-1978, Lausanne, Presses polytechniques et universitaires romandes, 1999 (Cosandey, 1999)
Implantation à Ecublens de l’Ecole. Développement des études. Etat juillet 1971, Ecole polytechnique fédérale de Lausanne, Bureau de planification (s.n., s.l.) (Implantation, 1971)
Joëlle NEUENSCHWANDER FEIHL, Ecole polytechnique fédérale de Lausanne : chronique d’un chantier, Lausanne, EPFL/Office des constructions fédérales, 1998 (Neuenschwander, 1998)
Claude NICOD, Implantation à Ecublens de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne : première étape, Lausanne, 1984 (Nicod, 1984)
Premiers bâtiments: le concours d’architecture
Le projet du bureau Zweifel + Strickler + Associés sera désigné lauréat du concours: un système en grille régulière susceptible de s’étendre à grande échelle au gré des besoins.
Premiers bâtiments: signalétique et logo
Au sein de l’école comme au-delà, plusieurs graphistes vont marquer de leur empreinte le visage de l’EPFL au fil de ses cinquante premières années.
Premiers bâtiments: critiques et rupture
Les premiers bâtiments de l’EPFL sont achevés en 1984. Cette première étape de construction suscite de multiples réactions.