Des panneaux gris en tôle d’aluminium sur presque toute la façade, une toiture portée par un treillis métallique bleu, des espaces modulaires vivement colorés entre les deux : c’est la façade type des premiers bâtiments de l’EPFL. Conçus par les architectes Zweifel + Strickler + Associés, ces bâtiments concilient standardisation et diversité formelle. D’un côté, ils reposent sur une structure modulaire, une fabrication industrielle et une codification des couleurs ; de l’autre, ils en tirent une grande variété d’agencements et de teintes, ainsi qu’une multiplicité de formes arrondies.
Une construction standardisée
Les architectes zurichois conçoivent le plan de l’école en un système de grille, permettant aux bâtiments et à leurs ailes de quadriller le terrain à disposition et de se développer facilement selon les besoins futurs. Mais cette grille orthogonale est aussi pensée pour s’élever dans la verticalité et pour s’étendre au volume à travers la structuration des façades et des modules intérieurs. A l’instar d’un échiquier volumétrique, la grille permet de systématiser la construction générale de l’EPFL et de standardiser ses modules, sur des dimensions de base de 3.6 x 3.6 mètres1. A priori rigide, elle autorise en réalité une grande flexibilité dans l’assemblage de l’ensemble.
Cette flexibilité apparaît déjà dans la partition verticale entre socle et terrasse. Abritant une structure en béton, le socle se caractérise par son revêtement en aluminium tandis que la terrasse et ses espaces colorés se composent d’une toiture ajourée en acier. Cette composition évoque les palais classiques par la reprise du principe du « lourd sous le léger »2. Il vaut autant pour la statique du bâtiment (lourdeur du béton et des panneaux de revêtement vs. légèreté de la structure en acier3) que pour son apparence visuelle (aspect massif vs. allégé).
Des techniques issues de l’industrie
Pendant les années 1960-1970, les techniques industrielles se répandent dans le secteur du bâtiment. L’EPFL ne fait pas exception puisque les panneaux en tôle d’aluminium de ses façades reprennent des techniques utilisées dans la carrosserie automobile4. Ils sont préfabriqués en série par l’entreprise suisse-allemande Schmidlin AG5 et assemblés sur le chantier. L’aluminium est retenu en fonction de son faible coût, de sa légèreté et de sa rigidité, ainsi que de sa longévité et de sa qualité énergétique6. Les nervures des panneaux emboutis augmentent la précision du matériau en évitant les dilatations thermiques. Le choix de l’aluminium et la forme des panneaux participent ainsi à la rationalisation de la construction : ils permettent la réduction de l’épaisseur des façades et l’amélioration de leurs performances thermiques ; ils assurent une auto-stabilité des éléments suffisante pour l’obtention de grandes pièces, ainsi qu’une fixation ponctuelle sur les contre-cœurs en béton ; leurs bordures arrondies et leurs nervures garantissent l’écoulement de l’eau de pluie jusqu’aux profils de drainage et ainsi l’auto-nettoyage des façades7.
La standardisation caractérise également les étages supérieurs de l’école. Le treillis tridimensionnel en acier supportant la toiture est aussi préfabriqué industriellement. Cette structure triangulaire ajourée est omniprésente, recouvrant l’entièreté des bâtiments à l’extérieur comme à l’intérieur. Rendant visible la dimension industrielle de la construction, elle unifie l’ensemble des volumes. Elément porteur, la toiture apparaît paradoxalement légère par contraste aux composantes du socle. De par son omniprésence visuelle et architectonique, elle incarne et célèbre l’unité de l’école.
Des formes courbes
La réflexion sur les volumes est marquée par l’idée de la rencontre du cube et de la sphère, développée en lien à la physique du bâtiment comme à sa dimension énergétique. Le croisement de ces deux formes s’inscrit dans les surfaces à travers une prévalence des rectangles à angles arrondis. Les façades présentent des socles concaves, ancrant en douceur l’école dans le terrain, et des bordures convexes en terrasse. Les panneaux eux-mêmes possèdent des angles courbés, tout comme les joints qui les relient. La silhouette des volumes colorés de la terrasse est également arrondie. Ces formes courbes permettent de bonnes performances énergétiques et l’écoulement de l’eau de pluie, mais elles sont aussi l’expression d’un imaginaire de la carrosserie qui participe à la vogue de la « soft line » dans les années 1970.
Des systèmes et des couleurs
Le choix des couleurs vise l’intégration de l’école dans son environnement et l’accentuation visuelle de détails constructifs. Des coloris neutres (vert, gris-beige, brun) recouvrent les niveaux inférieurs ; des couleurs plus vives (rouge, jaune, orange, bleu) s’appliquent aux espaces des niveaux supérieurs8. Cette opposition est déterminée par l’implantation de l’école dans son rapport à la ligne d’horizon, au lac Léman et aux montagnes alentour : les parties situées au-dessous de l’horizon doivent se colorer des teintes sourdes et foncées de la terre, celles au-dessus d’accents plus vifs et plus clairs9. La polychromie distingue ainsi les espaces de la recherche et ceux de la vie sociale.
Soumises à la standardisation générale de l’école, les couleurs se fondent à leur tour sur des pratiques industrielles. Le gris-beige des panneaux métalliques est le résultat de l’éloxage, qui permet de renforcer l’oxyde de l’aluminium afin de maintenir la couleur d’origine et l’apparence du métal. En terrasse, les couleurs utilisées se basent quant à elles sur un système de codification spécifique, le RAL. Ce système, datant des années 1920, permet de classer de façon rationnelle un grand nombre de coloris. La diversité même des couleurs de l’EPFL est ainsi liée à l’utilisation d’un principe standardisé.
A partir du système RAL, les architectes collaborent avec le peintre lausannois Jean-Claude Hesselbarth pour le réglage précis des teintes10. Dans les années 1950, Hesselbarth avait fondé avec d’autres le Collège vaudois des artistes concrets11, association qui défendait « l’intégration des œuvres d’art dans l’espace urbain »12. Cette vision se retrouve, non à l’échelle de la ville mais à celle d’une école, dans la conception des couleurs des deux niveaux supérieurs. Les coloris choisis teintent l’entièreté des parois des espaces modulaires de la terrasse. La participation d’un artiste au projet de l’EPFL témoigne une nouvelle fois de la part créative permise par cette construction standardisée.
Geri Daja (EPFL, architecture) et Bérénice Savoy (UNIL, histoire et esthétique du cinéma)
Crédits iconographiques
Archives de la Construction Moderne, EPFL, Fonds Jakob Zweifel (ACM)
Médiathèque EPFL Geri Daja et Bérénice Savoy (photo Daja & Savoy)
Notes
1. Robert BAMERT, « Ecole polytechnique fédérale de Lausanne : Implantation de la première étape à Ecublens : architectes Zweifel+Strickler », Werk, vol. 63, n° 2, 1976, p. 95.
2. Giovanni FANELLI et Roberto GARGIANI, Histoire de l’architecture moderne. Structures et revêtement, Lausanne, Presses polytechniques et universitaires romandes, 2008, p. 33.
3. Joëlle NEUENSCHWANDER FEIHL, « Une école à la campagne : chronique d’un chantier », in Maurice Cosandey (dir.), Histoire de l’Ecole Polytechnique Lausanne : 1953-1978, Lausanne, Presses polytechniques et universitaires romandes, 1999, p. 541.
4. Robert BAMERT, 1976, art. cit., p. 96.
5. « Façades », Bulletin technique de la Suisse romande, vol. 102, n° 12, 1976, p. 219, et Joëlle NEUENSCHWANDER FEIHL, Ecole polytechnique fédérale de Lausanne : chronique d’un chantier, vol. 1, EPFL, Office fédérale des constructions, 1998, p. 124.
6. Jean-Paul AUBERT, « Préfabrication des tôles de façades », in Implantation à Ecublens de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne : Etudes III, EPFL, Bureau de planification, 1975, p. 25 (Archives de la construction moderne, EPFL, Fonds Jakob Zweifel) ; Joëlle NEUENSCHWANDER FEIHL, 1999, op. cit., p. 541-542.
7. Robert BAMERT et al., « Façades : les 4 critères influençant la forme des tôles », in EPFL : Planification directive, 1976, 2 vol., n. p. (Archives de la construction moderne, EPFL, Fonds Jakob Zweifel), et Joëlle NEUENSCHWANDER FEIHL, 1999, art. cit., p. 542.
8. Robert BAMERT, « L’intégration architecturale dans le site », 1974, p. 3, 5 (Archives du DII, EPFL).
9. Robert BAMERT, 1976, art. cit., p. 3 et Joëlle NEUENSCHWANDER FEIHL, 1999, art. cit., p. 124.
10. Joëlle NEUENSCHWANDER FEIHL, 1998, op. cit., p. 136.
11. Richard AESCHLIMANN et al., Jean-Claude Hesselbarth, Chexbres, Editions Galerie Plexus, 1988, p. 71.
12. Anetka MÜHLEMANN et Caroline RIEDER, « Le peintre vaudois Jean-Claude Hesselbarth est décédé », 24 Heures, 14 mai 2015.
Dans les années 1960, l’architecture académique entre dans une période de transformation. Les constructions universitaires prennent l’apparence de petites villes modernes.