Premiers bâtiments: le concours d’architecture

Schéma Vincent Hauser, 2019 Schéma explicatif d’un plan en forme de grille, sur la base du projet Zweifel + Strickler + Associés.

Schéma Vincent Hauser, 2019 Schéma explicatif d’un plan en forme de grille, sur la base du projet Zweifel + Strickler + Associés.

Près d’un demi-siècle après leur implantation à Ecublens, les constructions de l’EPFL font partie intégrante du paysage. Leur physionomie, pourtant, aurait pu être toute autre. En 1969, se tient en effet un concours sur invitation, auquel participent sept bureaux issus des différentes régions du pays. Pour tous, il faut penser l’école du 21e siècle en partant de zéro, concevoir ses relations avec son environnement immédiat et tenir compte des caractéristiques du cadre naturel. Les architectes doivent surtout prévoir des installations flexibles et extensibles pour répondre à l’augmentation prévisible des effectifs et des disciplines. Parmi les projets soumis au jury, c’est celui du bureau Zweifel + Strickler + Associés qui sera finalement désigné lauréat du concours: un système en grille régulière susceptible de s’étendre à grande échelle au gré des besoins.

Le concours

Les projets d’établissement de l’Ecole polytechnique à Dorigny prennent forme pour la première fois sous la direction du Professeur Pierre Foretay. Cet architecte, professeur à l’EPUL et directeur du Bureau d’étude des aménagements de l’Ecole, est mandaté par la Confédération en 1965 afin d’établir le plan directeur du nouveau site universitaire. Remis à la Confédération, puis écarté, le « Plan Foretay » propose plusieurs éléments d’analyse qui seront repris par la suite par certains des bureaux d’architectes invités à participer au concours. L’établissement d’une trame orthogonale, sous forme de grille, figurera notamment parmi les propositions du projet lauréat. 

Le concours sur invitation regroupe des bureaux issus des différentes régions de la Suisse. Les participants sont ainsi choisis selon une clé de répartition régionale qui s’étend de Lausanne (Richter & Gut) au Tessin (Botta, Carloni, Galfetti, Ruchat & Snozzi), en passant par Genève (Waltenspühl & Nierlé), Berne (Reinhard), Bâle (Burckhardt), Soleure (Haller, Barth Zaugg) et Zurich (Zweifel + Strickler + Associés).

Plan général du principe d’organisation en grille. Elle permet un accroissement aisé dans le temps.
Plan Foretay, état décembre 1968 (Neuenschwander Feihl, 1999, p. 514)
La structure principale se base sur une grille. Elle permet de réaliser aisément des modifications et favorise le développement de l’école dans le temps.

Le déroulement du concours diffère de la procédure habituelle. D’ordinaire, les architectes entreprennent le développement de leurs idées de manière autonome, tandis que la compétition est organisée sur une base anonyme. Dans ce cas de figure, les délibérations du jury s’effectuent sans que l’identité des auteurs soit connue. Quant aux architectes, ils ont l’interdiction de communiquer entre eux, sous peine de disqualification. A l’occasion du concours de l’Ecole polytechnique, pourtant, ces règles ne s’appliquent pas. Des séances de travail collectives sont mises sur pied et plusieurs voyages d’études regroupant les participants sont organisés par le comité du concours. L’ensemble du processus revêt ainsi un caractère hors du commun. 

Le cahier des charges remis aux concurrents est, lui aussi, quelque peu particulier. Les projets soumis doivent notamment tenir compte de l’évolution de la future Ecole polytechnique au fil du temps, selon trois étapes-clés : EPFL2000, EPFL4000 et EPFL6000, déterminées par l’augmentation du nombre d’étudiants·e·s. Nonobstant, le plan directeur demandé se doit de définir un modèle d’organisation sans pour autant fixer un agrandissement précis. Les concurrents doivent ainsi respecter plusieurs directives inscrites au plan directeur :

  • Livrer un projet assurant une flexibilité suffisante en vue des étapes successives de construction de l’Ecole ; 
  • Garantir la séparation des circulations automobiles et piétonnes sur deux niveaux reliés verticalement ; 
  • Penser une organisation spatiale qui favorise l’échange interdisciplinaire ; 
  • Apporter une réflexion plus globale portant notamment sur les problématiques du logement, des loisirs, des circulations et de l’articulation entre espaces publics ou semi-publics.

Les résultats du premier tour

Comme il est d’usage lors d’un rendu de concours, une exposition des projets participants est mise sur pied. Celle-ci a lieu en juillet 1970 au Palais de Beaulieu et donne lieu à une conférence de presse convoquée par le Directeur de l’Ecole polytechnique, Maurice Cosandey1. Dans l’ensemble, les projets présentent de fortes similitudes. Ils posent sur le site une grille organisatrice ou un plan en peigne. Ce dernier s’articule autour d’un axe principal à partir duquel se développent des axes mineurs perpendiculaires, permettant une hiérarchisation de l’ensemble. Les bâtiments ou espaces culturels majeurs se regroupent le long de l’axe principal ; plus on s’en éloigne, plus les édifices perdent en importance et en volume. Quant à la grille, elle est constituée d’un réseau d’axes qui se croisent pour finalement former un maillage.

Parmi les différentes propositions, deux projets se démarquent plus particulièrement. Celui du bureau soleurois Haller, Barth & Zaugg, d’abord, qui est l’unique projet qui s’écarte des règles dictées par le concours. Le projet tient compte de l’Université de Lausanne, située sur les terrains voisins à ceux de l’Ecole polytechnique. Selon un article paru dans la revue Werk, ici, « les facultés des deux écoles s’entrepénètrent et s’intègrent à l’exemple d’un école supérieure générale »2. Mais la proposition contrecarre les directives édictées par le comité du concours, qui avait explicitement stipulé que les deux écoles devraient se développer de manière distincte. Ce pas de côté vis-à-vis des règles du concours conduit à la disqualification du bureau soleurois.  

La proposition tessinoise se distingue, quant à elle, du point de vue de son intégration au site. Même si les axes du plan suivent une orientation Nord-Sud/Est-Ouest, que l’on retrouve dans les autres projets, l’implantation du corps bâti tient compte de la situation topographique et s’adosse à la colline d’Ecublens tout en s’orientant vers le lac. Contrairement aux autres propositions qui n’accordaient pas une place aussi centrale à l’environnement de l’école, les Tessinois conçoivent un projet qui ne peut être réalisé que sur le site de Dorigny-Ecublens.

Les projets sélectionnés

A l’été 1970, seules deux propositions sont retenues par le jury. Celui-ci est composé de trois représentants du maître d’ouvrage, d’un représentant du professorat, d’un représentant du corps intermédiaire et un dernier du corps étudiant. Six architectes y siègent également. Les bureaux Zweifel + Strickler + Associés de Zurich et Waltenspühl & Nierlé de Genève sont les deux finalistes. Dès ce moment, on accorde aux deux bureaux six mois pendant lesquels ils approfondissent leur projet. Passé ce délai, un gagnant sera désigné en novembre 1970.

Les bureaux genevois et zurichois proposent des solutions plus en adéquation avec le plan directeur. En effet, le projet genevois présente un ensemble de bâtiments cohérents ordonné par une trame en double peigne le long d’un axe. L’organisation de l’espace est claire, les édifices à caractère industriels se trouvent au nord, les espaces collectifs sur l’axe principal. Au lieu de développer dans la partie sud les bâtiments à caractère éducatif, il s’écarte de la trame en peigne traditionnelle pour s’étendre verticalement au-dessus de l’axe. Le projet est complimenté par les experts comme intéressant et abouti. Toutefois, ce caractère abouti lui porte préjudice. Le jury critique la rigidité du projet et redoute une extension difficile.

De son côté, le bureau Zweifel + Strickler + Associés soumet au jury un plan organisé selon une grille. Cette organisation, reprise par la plupart des participants, se différencie par un jeu de volumes et fait preuve, sur le plan du style, d’une certaine diversité. Le système de la grille et la variété dans l’architecture des bâtiments permet d’intégrer plus aisément de nouvelles constructions dans le complexe déjà existant. Cette caractéristique constitue la force du projet qui offre la possibilité d’une extension spatiale des bâtiments dans le temps. La séparation des circulations piétonnes et automobiles rend possible un accès réservé au rez-de-chaussée pour les services et livraisons et un accès public aux étages supérieurs. Ce sont ces qualités qui font que le projet Zweifel + Strickler + Associés remporte le concours de l’Ecole Polytechnique à Dorigny.

Après de nombreuses modifications apportées à la version du projet Zweifel + Strickler + Associés, sorti lauréat du concours, les premiers bâtiments de l’Ecole polytechnique sont inaugurés en 1978. Malgré la flexibilité du principe constructif, les critiques contrastées des usager·ère·s, de la presse et du grand public conduiront la direction de l’Ecole à opter pour une architecture radicalement différente lors de la seconde étape. A la suite d’un concours resserré cette fois à l’échelle cantonale, sa conception sera confiée au bureau de Bernard Vouga. 

Lucas Barrière (EPFL, génie civil), Anna Clément (EPFL, architecture), Vincent Hauser (EPFL, architecture)

Crédits iconographiques

Médiathèque EPFL Joëlle NEUENSCHWANDER FEIHL, « Une école à la campagne : chronique d’un chantier », in Maurice COSANDEY (dir.), Histoire de l’Ecole polytechnique Lausanne : 1953-1978, Lausanne, Presses polytechniques et universitaires romandes, 1999 (Neuenschwander Feihl, 1999)
« Sieben Projektaufträge für die ETH-L in Dorigny », Das Werk: Architektur und Kunst, vol. 57, n° 10, 1970 (Werk, 1970)
Vincent Hauser

Notes

1.  Joëlle NEUENSCHWANDER FEIHL, Ecole polytechnique fédérale de Lausanne : chronique d’un chantier, EPFL, Office des constructions fédérales, 1998, vol. 1, p. 64.
2.  « Sieben Projektaufträge für die ETH-L in Dorigny », Das Werk : Architektur und Kunst, vol. 57, no 10, 1970, p. 658.

Jakob Zweifel devant le plan directeur de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne, 1978.

A Ecublens, l’architecte Jakob Zweifel cherche à réaliser une école aussi conviviale sur le plan social qu’efficace sur le plan constructif.

Le volume du projet de 1971 pour la nouvelle EPFL est vu depuis les hauteurs d’Ecublens. Il est représenté en blanc et contraste avec les Alpes en arrière-plan.

Au moment de sa mise à l’enquête cependant, en 1973, la variante proposée comporte une série de tours, dont l’intégration dans le paysage fait polémique.

Vue de l’ancienne entrée principale de l’EPFL.

La variété des espaces offerts au fil des différents parcours reproduit au sein de l’école la richesse des cheminements d’une ville.