Rendre l’école plus robuste
par Pierre Dillenbourg
Nombreux sont les parents qui l’ont découvert dans la douleur : l’enseignement à domicile n’est pas une partie de plaisir ! Les médias ont abondamment décrit les difficultés et les frustrations rencontrées par les enfants, les parents et les enseignants. Après la crise, retournerons-nous à l’école que nous connaissions avant mars 2020 ? Bien sûr ! Les élèves et les enseignants ont désespérément besoin de partager le même cadre physique ! Se voir sur un écran est mieux que de ne pas se voir du tout, mais ce n’est pas du tout « la même chose ». De plus, même s’il n’est peut-être pas politiquement correct de le souligner, le rôle que jouent les écoles en s’occupant des enfants pendant que leurs parents sont au travail est crucial pour le bon fonctionnement de l’économie.
Mais que se passe-t-il ensuite ? À l’avenir, des groupes de travail analyseront comment l’enseignement à distance a réussi, ou échoué, pendant la pandémie actuelle. Ils pourraient conclure que nous devons disposer d’outils pour l’enseignement à distance afin de pouvoir répondre à une autre crise. Toutefois, si les écoles et les universités comptent simplement sur la réactivation des solutions informatiques lors de la prochaine crise, elles revivront modus modendi ce qu’on a vécu avec les masques : les licences n’auront pas été renouvelées ; le contenu sera devenu obsolète ; on aura égaré les mots de passe, etc. Une approche différente serait plus logique : si les écoles combinent systématiquement les activités numériques et les activités en face à face, en cas de crise, elles n’auront qu’à ajuster les quantités relatives d’enseignement en personne et à distance, au lieu de devoir mettre en œuvre des changements radicaux. Beaucoup semblent penser que l’apprentissage à domicile est un concept entièrement nouveau. Mais les étudiants n’ont-ils pas toujours fait leurs devoirs à la maison le soir et le week-end ? Et les enseignants n’utilisent-ils pas déjà des activités digitales en classe ? Les élèves forment des groupes WhatsApp pour partager leurs devoirs, les enseignants publient des exercices sur Dropbox, etc. Où est la frontière?
L’école post-COVID doit rester en partie numérique, car le ‘home schooling’ a lieu chaque soir, et les week-ends pour les plus grands. Or, les devoirs à la maison, qu’ils soient numériques ou non, augmentent les inégalités sociales. Celles-ci résultent de l’attention que les parents accordent aux devoirs scolaires de leurs enfants, mais, dans la crise COVID-19, elles sont exacerbée par l’inégalité d’accès à la technologie numérique. La solution ne consiste pas à éviter d’utiliser les outils numériques, mais plutôt à utiliser ces outils pour réduire les inégalités. Par exemple, les parents qui ne sont pas en mesure d’être physiquement présents pour surveiller les devoirs de leurs enfants pourraient le faire en ligne ; des organisations pourraient surveiller le travail des élèves qui manquent de soutien à la maison ; les méthodes d’IA pourraient être utilisées pour avertir les écoles lorsque les enfants sont en difficulté, etc.
Après la crise, la quête sans fin d’une plateforme numérique idéale reprendra. Mais il est clair qu’aucune plateforme ne peut à elle seule répondre à toutes les attentes. Un écosystème scolaire tire parti de plusieurs plateformes pour organiser des activités (par exemple Moodle), partager des fichiers (par exemple Google Drive), communiquer (par exemple par courriel, Zoom, Slack) et utiliser des applications interactives (par exemple pour des exercices de calcul et des simulations scientifiques). S’il est vrai qu’une plateforme numérique mal conçue peut ruiner un projet, aucune plateforme – aussi bien conçue fut elle – n’offre une garantie de succès. La clé n’est pas le choix des outils, mais la qualité des activités d’apprentissage à réaliser en utilisant ces outils.
Il a été souligné que les enseignants ne sont pas suffisamment formés à l’utilisation des outils numériques. Mais de quelles compétences parlons-nous ? La plupart des enseignants sont en fait tout à fait capables d’utiliser l’internet à des fins telles que la réservation de vols ou le dépôt de leur déclaration d’impôts. Les outils pédagogiques ne sont pas plus sophistiqués, technologiquement parlant, que ces plateformes du quotidien. La véritable difficulté de l’utilisation des outils éducatifs numériques ne consiste pas à déterminer “comment lancer ce logiciel”, mais à répondre à la question “que puis-je faire avec mes élèves grâce à cet outil ? ». Après la crise, une priorité sera de recueillir et de partager des exemples d’activités en ligne réussies.
L’école sera robuste si elle intègre pleinement éléments d’enseignement en ligne et en classe de telle sorte qu’elle puisse agilement ajuster le curseur digital-présentiel selon les circonstances.
Prof. Pierre Dillenbourg, CHILI Lab
Ce texte est la version français d’un article de Pierre Dillenbourg apparu dans BOLD.
The post-COVID school