Agathe Mignon
Archéologie et hypothèse d’une architecture-support
« How do we pile up dwellings without sacrificing their independence ? » (1)
Nicolaas John Habraken pose la question en ces termes dans l’ouvrage qu’il publie d’abord en 1961 en néerlandais puis en anglais en 1972, Supports : An Alternative to Mass Housing, en introduction des travaux de recherche qu’il effectue ensuite pendant une grande partie de sa carrière. La théorie des supports, qui forge le travail du SAR (Stichting Architecten Research, fondation néerlandaise de recherche architecturale) qu’Habraken préside dès sa création en 1965, constitue la base d’une architecture dont les progrès du secteur de la construction industrielle permettent d’atteindre une grande densité au niveau urbain tout en offrant aux habitants une reconnaissance individuelle des besoins et nécessités de chacun à l’échelle du logement. Les travaux du SAR prônent le retour d’une architecture adaptée aux usages dont elle est le support par l’intégration des habitants au processus de conception architecturale. Si ce questionnement est à l’époque formulé en réaction aux opérations de construction massive de logements des années 1950 et 1960 en Europe, elle demeure cependant sans véritable réponse aujourd’hui. À travers la conceptualisation de cette architecture-support, le travail de recherche Protostructure, archéologie et hypothèse d’une architecture-support tend ainsi à porter un regard contemporain sur la problématique énoncée par Habraken.
Le terme de support possède en français un double sens : celui de soutenir physiquement quelqu’un ou quelque chose, mais aussi d’apporter un appui moral, bienveillant et tolérant. La notion d’architecture-support s’appuie donc sur cette double définition en désignant tout à la fois l’objet et l’action de supporter l’individualité des usagers en s’adaptant à leurs différentes pratiques d’habiter. La transposition de cette notion d’architecture-support à la question de la densité et de la mixité urbaine nécessite la mise en œuvre d’objets hybrides, capables tout autant de répondre de manière systématique au niveau collectif que de s’adapter indépendamment à l’échelle de l’usager en tant qu’individu. C’est cette ambivalence particulière qu’a l’ambition de cerner le concept de protostructure. Néologisme formé du préfixe proto-, qui signifie premier, et du substantif structure, issu du verbe latin struere, construire, il désigne une structure ou un système à l’état primaire, dépourvu des artefacts dont il constitue le support. Le concept de protostructure appliqué au projet d’architecture agit à la manière d’une règle de jeu : il constitue la base collective à un processus d’appropriation individuelle. Le concept de protostructure constitue le point de départ et la ligne directrice de ce travail de recherche.
La définition de cette notion transversale permet dans un premier temps de rassembler une étude de cas qui présentent la particularité de mettre en œuvre un support collectif dédié à la participation active des habitants à titre individuel. L’analyse de ces cas, rassemblés de manière inductive par analogie à la conception d’architecture-support, constitue la première partie de ce travail sous la forme d’une Archéologie. De manière analytique, la synthèse de cette étude interroge la capacité de ces différentes expériences à formaliser et mettre en œuvre un support de conception concertée et de communication entre les divers acteurs du projet d’architecture. La seconde partie de ce travail de recherche revient ensuite sous la forme d’une Hypothèse sur une expérimentation de construction collaborative, menée dans le cadre de l’enseignement du projet d’architecture. Le récit de cette expérience, exceptionnelle à plusieurs titres, permet de porter un regard enrichi sur la définition initiale du concept de protostructure.
Au travers de cette double investigation, la thèse Protostructure, archéologie et hypothèse d’une architecture-support tente de construire une analyse critique et opérationnelle du processus de conception architecturale concertée entre architecte et habitants, dans le but d’offrir un nouveau regard sur la pratique du projet.
(1) Habraken, Nicolaas John. 1972. Supports : An Alternative to Mass Housing. London: Architectural Press.
Mots-clé : appropriation, architecture expérimentale, logement, participation, systèm