– Phd Thesis – C. Legrand
Au cours de la dernière décennie, la question de la «ville productive» est devenue une préoccupation politique grandissante pour les villes européennes et suisses. Le nouveau plan directeur municipal de Genève, récemment élaboré, a par exemple fait de la ville productive l’un de ses thèmes clés. Cependant, le maintien d’activités manufacturières et artisanales dans les contextes urbains se heurte encore à de nombreux obstacles financiers, juridiques et typologiques.
L’objectif de cette thèse est d’explorer les défis typologiques d’une cohabitation entre habitat et travail, et plus précisément d’étudier les conditions spatiales d’un habitat productif lié à l’artisanat et l’économie de voisinage (manufacture, réparation, mutualisation, soin).
L’intérêt du couplage logement-artisanat est de contribuer au renouvellement de la Wohnkultur suisse, tout en répondant aux défis de la transition socio-écologique. En effet, cette association programmatique offre de nouvelles pistes de réflexion pour penser la densification de la ville sur elle-même. En tirant parti des espaces sous-occupés (des espaces de travail sont inoccupés la nuit, tandis que des logements sont inoccupés le jour), on pourrait densifier significativement le tissu urbain existant, sans urbaniser de nouvelles parcelles. A titre d’exemple, un espace de travail n’est utilisé que 2,5 mois pleins par an en Suisse.
Couplé au travail artisanal, le logement aurait également la capacité de transformer radicalement les mobilités urbaines (réduire les flux pendulaires), et de décharger le péri-urbain d’une partie de la charge productive qui lui incombe aujourd’hui. Enfin, le décloisonnement des oppositions traditionnelles entre travail productif et reproductif (domestique) permettrait de redéfinir la notion même de travail pour penser de nouvelles temporalités, de nouvelles spatialités et de nouveaux usages.
Les retombées attendues de cette thèse sont nombreuses, car le logement constitue la majeure partie du grain de la ville. Ainsi, transformer le logement c’est modifier la ville elle-même. Toutefois, les enjeux spatiaux à résoudre sont de taille: pollution de l’air ou des sols, nuisances sonores, besoins logistiques, production de déchets, sont les désagréments communément issus des activités artisanales. Ces derniers seraient donc à priori incompatibles avec le logement. Une recherche d’ordre typologique prendrait ainsi tout son sens
pour questionner cette réalité, mais surtout pour démontrer les potentiels spatiaux et d’usages d’une mixité programmatique. On pourrait habiter plus dense et plus écologique, mais surtout habiter mieux, avec plus d’espace à moindre coût.
Préambule / 3 contradictions typologiques
La recherche s’appuie sur 3 contradictions typologiques, qui laissent à penser que logements et ateliers sont des programmes incompatibles. La thèse souhaite lever cette incompatibilité programmatique.
1. Equipements / Assignation & Désassignation
– D’un côté, les espaces productifs possèdent des équipements spécifiques (isolation phonique, ventilation mécanique, chaine de montage…). Ces équipements techniques assignent les pièces manufacturières dans un rôle et un programme précis.
– De l’autre, nous remarquons la multiplication de projets de logements collectifs présentant des plans à pièces désassignées. Il s’agit
par exemple du travail de MAIO, de Sophie Delhay, de Peris+Toral, faisant eux-même appel à des références plus anciennes comme
les Gemeindebauten de Vienne La Rouge. Cette résurgence typologique n’est pas le fruit du hasard: ces plans ont de grandes qualités dans un contexte néolibéral de production de logements, majoritairement dédiés à des locataires. Ces derniers n’ayant pas la possibilité d’intervenir sur leur habitat, ces plans offrent une grande flexibilité d’usage et permettent de suivre l’évolution des modes de vie (familles recomposées, colocation, vieillissement de la population).
> Un logement-atelier aspire à faire cohabiter des pièces assignées (nécessaires pour des raisons techniques) et des pièces désassignées (nécessaire pour des raisons de flexibilité, et donc de pérennité du type dans le temps). Cette contradiction offre un potentiel économique, en envisageant la mise en commun de certains équipements.
2. Dimensions / Petites & Grandes pièces
– D’un côté, les espaces productifs dédiés à l’artisanat forment une collection de vastes pièces équipées au sein de la ville (comme l’usine Noerd à Zurich par exemple).
– De l’autre, le logement collectif se compose d’un assemblage de petites pièces.
> Un logement-atelier aspire à faire cohabiter des petites et grandes pièces. Cet assemblage dimensionnel singulier permettrait d’investir des profondeurs de bâtit inhabituelles. A l’heure de la crise environnementale, où l’on souhaite densifier la ville sur elle-même, et où
de nombreux sites industriels aspirent à être réinvestis (le PAV à Genève, Les Halles de Sébeillon à Lausanne par exemple), des types de logements-atelier auraient la capacité de prendre place dans ces édifices épais, pour valoriser des réserves foncières jusqu’alors inexploitées, tout en maintenant la vocation productive de la ville.
3. Climats / Economie & Confort
– D’un côté, les espaces productifs déploient un spectre climatique varié: certains espaces sont chauffés, d’autres non, certains produisent un «climat sonore» élevé, d’autres n’ont pas besoin de lumière naturelle…
– De l’autre, le logement entretient un rapport au confort, au chauffage, à la lumière, plus homogène et tempéré.
> Cette contradiction offre un potentiel de mutualisation énergétique: des synergies sur le plan climatique entre logement et ateliers permettrait de réaliser d’importantes économies d’énergie.
Méthode / Analyse historique, redessin
L’objectif de la thèse est d’étudier le type du logement-atelier européen dans toute sa diversité (du moyen-âge aux révolutions industrielles), mais aussi les évolutions typologiques – du logement d’une part, de l’artisanat de l’autre – qui ont abouti à ces contradictions contemporaines. En effet, il ne s’agit pas de retourner à des formes antérieures de logements-atelier, mais de capitaliser sur les acquis de la modernité pour proposer de nouvelles formes d’habitats productifs, adaptés aux enjeux de notre temps (durabilité, flexibilité, mise en commun). La méthode sera donc fondée sur l’analyse et le redessin de cas d’étude pré-industriels faisant cohabiter logement et travail, puis sur l’analyse des grandes évolutions contemporaines qui ont achevé de rendre spécifique et séparé chacun de ces 2 programmes. Ces évolutions mettront en crise les anciens modèles de logements-ateliers pour envisager des potentiels et des résolutions à l’époque contemporaine.