Sous le titre agressif de "Stratégie énergétique : deux décennies de croissance passées par pertes et profits ?", economiesuisse a écrit:
"Les conséquences économiques de la stratégie énergétique 2050 sont plus importantes que supposé jusqu’ici. En l’absence de sauts technologiques, la Suisse risque, selon le scénario, de voir son produit intérieur brut réel reculer de presque 25 %. Telles sont les conclusions d’une étude mandatée par economiesuisse auprès de Peter Egger, professeur au Centre de recherches conjoncturelles (KOF) de l’EFPZ. Ces estimations divergent fortement de celles de la Confédération, ce qui s’explique par l’utilisation d’hypothèses différentes." Et plus loin "Il faudrait également s’attendre à une hausse du chômage de 3,5 % au moins".
Nos propres simulations de politiques énergétiques et climatiques ambitieuses ont toujours démontré, comme les autres auteurs scientifiques d'ailleurs aussi, que le coût ne dépasse pas 1% de PIB. Alors comment expliquer un coût 25 fois plus élevé dans l'étude de nos collègues Egger et Nigai? Uniquement par des "hypothèses différentes"?
Pour répondre, j'ai soigneusement lu l'étude originale ainsi que le résumé en allemand. Pour commencer, les deux contiennent des choses pour le moins bizarres. Sans rentrer dans les détails, je relève par exemple le calcul de l'incidence sur le chômage. Le calcul est simple: selon les statistiques historiques, 1% de croissance supplémentaire réduit le chômage de 0.16% en Suisse; comme la stratégie énergétique 2050 est supposée réduire le PIB de 22% environ, le chômage va augmenter de 22 x 0.16% = 3.5%. Selon le même calcul, une baisse du PIB de 100% augmenterait le chômage de 16% seulement, donc l'économie suisse pourrait occuper 80% de sa force de travail à ne rien produire du tout!
Le plus important, c'est ce recul du PIB de 25% cité par economiesuisse. Les auteurs de l'étude, eux-mêmes effrayés par ce résultat, l'expliquent ainsi: leur modèle suppose que toute la stratégie énergétique 2050 est mise en œuvre en une seule année, l'année 2000 (il y a 13 ans, ce n'est pas une faute de frappe). Donc ils calculent l'état de l'économie suisse en 2000 si l'énergie avait été taxée à hauteur de 774 CHF par tonne de CO2 et si toute l'électricité de source nucléaire avait été produite par des énergies renouvelables bien plus coûteuses. Les auteurs nuancent ce scénario légèrement absurde en écrivant que si cette politique était mise en place sur 30 ans – comme c'est prévu dans la stratégie énergétique 2050 – alors le coût en PIB serait de 0.5% par an environ. Ce qui correspond pile à ce que tous les autres experts ont estimé. Et les auteurs d'ajouter que le coût serait encore plus faible si l'on tenait compte du progrès technique prévisible sur 30 ans.
Alors que penser du communiqué d'economiesuisse? N'ont-ils rien compris à l'étude qu'ils ont financée ou ont-ils préféré en interpréter les résultats de la façon qui leur convient le mieux?