La réforme de l'imposition des entreprises II a introduit le principe de l'apport de capital, qui libère des impôts le remboursement d’apports, d’agios et de versements supplémentaires effectués par les actionnaires. Depuis que cette disposition est entrée en vigueur le 1.1.11, les grandes SA versent leurs bénéfices dans des réserves et dissolvent d'autres réserves constituées justement de ces "apports de capitaux" pour verser des dividendes que les bénéficiaires n'ont pas besoin d'ajouter à leur revenu imposable et qui ne sont pas soumis à l'impôt anticipé.
UBS, par exemple, a réalisé un bénéfice de 2,7 milliards de francs en 2013. Elle a versé ce montant dans les réserves de bénéfices puis elle a prélevé 960 millions de francs dans sa réserve en apport de capital pour les verser en dividendes à ses actionnaires. Il reste 40,7 milliards de francs dans cette réserve, donc les actionnaires d'UBS ne sont pas prêts de payer des impôts sur leurs dividendes.
Pour la Confédération et surtout les cantons et les communes, cela implique des pertes de recettes fiscales de quelques 600 millions de francs chaque année depuis 2011 et, selon les aveux tardifs des spécialistes de l'Administration fiscale, pour de nombreuses années encore. En effet, il restait encore quelques 1000 milliards de francs dans les réserves en apport de capital des entreprises suisses à la fin 2012.
Dans le message fédéral du 22 juin 2005 qui accompagnait la loi sur la réforme de l'imposition des entreprises II, le Conseil fédéral avait déclaré qu'il était pratiquement impossible de quantifier les diminutions de recettes causées par cette réforme et qu'il a donc renoncé à les estimer (p.4590). Les lecteurs rapides, soit tous les conseillers nationaux et fédéraux et surtout tous les citoyens qui ont accepté cette réforme d'extrême justesse (50,5%) en ont déduit qu'elles seraient négligeables. Ceci a été confirmé par le Tribunal fédéral, qui a jugé que les explications du Conseil fédérale étaient pour le moins insuffisantes. Mais bon, de là à renverser un vote…
Avec la réforme de l'imposition des entreprises III, le Conseil fédéral remet le couvert. Cette fois, il s'agit de répondre aux injonctions répétées de l'OCDE et de l'UE pour que la Suisse cesse d'accorder des privilèges fiscaux considérables aux sociétés holding et autres créées en Suisse par des entreprises internationales dans le seul but "d'optimisation fiscale". Pour faire simple, ces sociétés permettent aux entreprises qu'elles représentent de payer la moitié des impôts que paient des sociétés suisses aux revenus comparables (et beaucoup moins que ce qu'elles paieraient dans les pays où elles exercent réellement leurs activités). Chaque pays est libre de fixer le niveau d'imposition qu'il souhaite, mais privilégier des sociétés étrangères dans le seul but de les attirer, ce n'est pas fair play.
Réponse attendue par l'OCDE et l'UE: la Suisse abolit ces privilèges et relève la fiscalité des entreprises étrangères au niveau de celle des entreprises suisses. Réponse donnée par le Conseil fédéral, le Parlement et les autorités cantonales: la Suisse abolit ces privilèges et abaisse la fiscalité des entreprises suisses au niveau de celle des entreprises étrangères (ou presque). En d'autres termes, au lieu de supprimer les privilèges fiscaux, ont les généralise. Evidemment cela va coûter encore quelques milliards de recettes fiscales, mais bon, il suffira le lancer un n-ième programme d'économies dans les administrations fédérales et cantonales.