Jusqu'au 8 mars prochain nous votons sur l'initiative populaire des Verts-libéraux intitulée "Remplacer la taxe sur la valeur ajoutée par une taxe sur l'énergie". Le débat est vif autour du taux prévisible de cette taxe sur l'énergie. Pour le savoir, j'ai effectué mes propres calculs.
En première approximation, l'initiative prévoit une taxe prélevée sur les énergies non renouvelables utilisées en Suisse. Chaque forme d'énergie non renouvelable primaire doit être taxée au pro rata de son contenu énergétique (kWh). Le taux de la taxe doit être fixé de sorte à ce que sa recette totale soit égale au produit moyen de la TVA des cinq années qui auront précédé sa suppression. A partir de là, le taux de la taxe est modifié chaque année pour que sa recette suive la croissance du PIB.
Il est évidemment difficile de se projeter à la date inconnue du remplacement de la TVA par cette taxe sur l'énergie, mais on peut calculer le taux auquel elle aurait été introduite si on l'avait introduite lors de la dernière année pour laquelle on dispose de données suffisantes, soit 2013. La TVA a rapporté en moyenne 21 milliards de francs de 2008 à 2012, donc c'est cela la recette à atteindre avec la taxe sur l'énergie non renouvelable en 2013. En divisant cette recette simplement par l'utilisation totale d'énergie non renouvelable en 2013, on aboutit à une taxe de 8.3 ct/kWh. C'est déjà un montant considérable quand on sait que l'électricité coûtait 19 ct/kWh en 2013. Il faut donc s'attendre à une diminution de la consommation d'énergie non renouvelable, ce qui nécessite un taux de taxe plus élevé, ce qui va encore davantage réduire la consommation, etc. En utilisant des estimations typiques de la sensibilité aux prix de la demande pour l'électricité, l'huile de chauffage, le gaz et les carburants, j'estime que la taxe aurait dû être de 11.3 ct/kWh d'énergie non renouvelable en 2013 pour générer 21 milliards de francs de recettes.
Comme l'initiative prévoit que les entreprises exposées à la concurrence internationale pourraient être exemptées de la taxe, cela réduirait d'autant son assiette et impliquerait un taux plus élevé. L'initiative prévoit aussi la possibilité d'imposer la taxe sur les importations au pro rata de leur contenu en énergie non renouvelable, ce qui, si c'était légalement, politiquement et pratiquement faisable, permettrait d'abaisser le taux de la taxe.
11.3 ct/kWh, cela représente 1.12 CHF par litre d'essence, 1.20 CH par litre de diesel ou d'huile de chauffage. Il faut évidemment soustraire de ces montants la suppression de la TVA, soit quelques 13 ct par litre d'essence ou de diesel. En gros, on peut retenir que le litre de carburant aurait été plus cher d'un franc environ en 2013, quand le litre d'essence 95 s'achetait en moyenne pour 1.77 CHF et le litre de diesel pour 1.89 CHF.
Il vaut la peine de mettre ces chiffres en perspective. Notons d'abord que 1 franc par litre c'est à peu près le montant estimé des coûts externes non couverts de la circulation automobile. L'internalisation des coûts externes, que tous jusqu'aux partis libéraux appellent de leurs vœux en théorie, justifierait déjà une telle taxe additionnelle sur le litre de carburant.
Notons ensuite que le prix du litre d'essence en 2013, soit 1.77 CHF, représentait une augmentation de 54% par rapport au prix correspondant en 1980, soit 1.15 CHF. Or, l'indice des salaires a augmenté de 120% entre 1980 et 2013. Cela signifie qu'avec le salaire médian de 44 francs/heure en 2013 on pouvait acheter 25 litres d'essence après une heure de travail, alors qu'avec le salaire correspondant en 1980 (20 francs) on ne pouvait acheter que 17 litres. Si on considère encore l'amélioration de la sobriété de nos voitures, il n'est pas exagéré d'estimer que l'essence coûtait au Suisse moyen en 2013 réellement la moitié de ce qu'elle lui coûtait en 1980. Le franc supplémentaire aurait donc été parfaitement supportable.
Le bureau d'études bernois Ecoplan a été chargé par l'Administration fédérale des finances d'estimer le taux de taxe sur l'énergie non renouvelable qui serait nécessaire selon l'initiative. Il a abouti à des chiffres tout à fait comparables aux miens à court terme. L'auteur, André Müller, s'est cependant aussi projeté dans l'avenir et il a estimé que la taxe devrait atteindre 26 ct/kWh en 2035 et même 36.8 ct/kWh en 2050. C'est ce dernier chiffre qui est couramment cité par le Conseil fédéral et les autres adversaires de l'initiative, sans toujours préciser qu'il s'applique à un avenir plutôt lointain.
La progression phénoménale du taux de la taxe n'est pas due à une soudaine croissance économique spectaculaire de la Suisse mais à deux autres hypothèses: les recettes de la TVA doivent encore augmenter et, surtout, l'assiette fiscale va continuer à s'éroder. Dans mes calculs, la consommation d'énergie non renouvelable ne diminue que du fait de la taxe. En réalité, la transition énergétique, la politique climatique et le projet de développement durable inscrit dans la Constitution doivent nous faire abandonner progressivement les énergies non renouvelables. La décision a été prise d'abandonner l'énergie nucléaire et notre consommation d'énergie fossile devrait diminuer de 80% au moins d'ici 2050 si nous voulons contribuer équitablement aux efforts mondiaux visant à maintenir le réchauffement de la planète en dessous de 2 degrés. Dans ces conditions, la taxe prévue par l'initiative est condamnée à terme.
En résumé, le principe de la taxe sur les énergies non renouvelables est juste, pour internaliser les coûts externes de leur utilisation et pour favoriser leur remplacement par les énergies renouvelables et les économies d'énergie en général. Le niveau prévu l'est aussi. Par contre, il est irresponsable d'utiliser la recette éphémère de cette taxe pour supprimer un impôt aussi pérenne et important que la TVA. Si on veut supprimer la TVA, il faut la remplacer par un impôt assis sur une assiette plus stable, par exemple l'ensemble de la consommation d'énergie. Si on veut taxer les énergies non renouvelables pour les motifs que je viens de citer, il faut affecter la recette au renforcement de ces motifs, donc subventionner les économies d'énergie et la transition vers les énergies renouvelables. Le besoin de ces subventions disparaîtra exactement en même temps que les énergies non renouvelables et donc que la recette de la taxe incitative.
On peut évidemment aussi redistribuer la recette aux ménages (la redistribuer aux entreprises est un peu absurde). Il serait logique alors de le faire de façon à privilégier les ménages qui sont particulièrement affectés par le renchérissement des énergies non renouvelables. Soit on trouve un moyen de les identifier, soit on les aide à s'affranchir de ces énergies, par exemple en subventionnant la rénovation énergétique des bâtiments, les transports publics et les produits de proximité. On aura alors fait d'une pierre deux coups: favoriser l'abandon des énergies non renouvelables et aider les ménages les plus touchés par la taxe.