Coup sur coup, deux publications* osant prédire l'évolution de l'emploi en Suisse font le même pronostic: la numérisation va bouleverser le monde du travail, principalement en éliminant de nombreux métiers dans les qualifications moyennes à rémunération moyenne – les tâches de production ou administratives répétitives. En revanche, l'emploi devrait croître dans les professions peu qualifiées et rémunérées – restauration, nettoyage, soins, garde d'enfants – et dans les professions les plus qualifiées et rémunérées – management, recherche, formation. Au total, le nombre d'emplois et même la masse salariale pourraient être peu affectés par la numérisation.
Ce que ces prévisions rassurantes n'évoquent pas, c'est l'impact socio-politique de cette évolution. Quand il y a une distribution régulière d'emplois sur une échelle de qualification, chacun peut espérer pour soi ou ses enfants qu'un effort de formation lui permettra de progresser vers l'échelon supérieur. La perspective d'une amélioration de son sort ou au moins de celui de ses enfants est une condition centrale pour le bonheur et, partant, pour la stabilité socio-politique. Si les échelons intermédiaires disparaissent, le fossé de qualification à franchir devient trop grand et beaucoup vont se décourager. Il est à craindre qu'ils voteront encore plus pour toute force politique qui leur promettra de revenir en arrière.
* OECD Economic Surveys – Switzerland, Paris, novembre 2017 / La Vie Economique 91(1-2), SECO, Berne, janvier 2018