La Suisse exporte largement plus de biens et de services qu'elle n'en importe. La balance commerciale, qui mesure la différence entre les exportations et les importations, est excédentaire. Ceci a normalement un impact sur le taux de change entre le franc suisse et les autres monnaies du monde. Pour simplifier l'explication, supposons que la Suisse n'exporte que vers les Etats-Unis (notre plus grand excédent commercial: CHF 20 milliards en 2018). Pour acheter ce que nous importons, nous devons échanger nos francs contre des dollars. Pour acheter ce que nous exportons, nos partenaires US doivent échanger des dollars contre des francs. Quand nos exportations dépassent nos importations, cela signifie que les Américains achètent plus de francs que nous ne vendons de francs pour acheter des dollars. La demande de francs dépasse donc l'offre sur le marché franc-dollar, ce qui conduit à une appréciation du franc. Celle-ci a pour effet de rendre les produits libellés en dollars meilleur marché pour nous et les produits libellés en francs plus chers pour les Américains. L'appréciation du franc va donc conduire à la diminution et, à terme, à la disparition de l'excédent des exportations et donc équilibrer nos échanges avec les Etats-Unis.
Ce rééquilibrage de la balance commerciale ne se réalise pas forcément. En effet, les détenteurs de francs n'achètent pas des dollars uniquement pour payer les importations mais aussi pour acheter des actifs (actions, crédits, entreprises, immobilier) aux Etats-Unis. Des épargnants et investisseurs de la zone dollar font l'inverse pour investir en Suisse. Si les investisseurs suisses investissent plus aux USA que les investisseurs US en Suisse, la balance financière est déficitaire. Pour faire simple, cela signifie que plus d'argent sort de Suisse qu'il n'y rentre pour des investissements.
Si le déficit de la balance financière est égal à l'excédent de la balance commerciale, le taux de change peut rester constant (il y a encore d'autres flux de paiements moins importants entre pays, dont je fais abstraction pour simplifier). Dans ce cas, l'excédent de demande de francs lié à l'excédent de nos exportations vers les USA sur nos importations est compensé par le déficit de demande de francs lié au déficit de la demande des investisseurs US pour des actifs suisses par rapport à la demande des investisseurs suisses pour des actifs aux USA.
Un excédent de la balance commerciale compensé par un déficit de la balance financière signifie que les investisseurs suisses prêtent aux Etats-Unis l'argent qui leur permet d'acheter davantage de biens et services suisses que nous n'achetons de leurs B&S.
Après la crise de 2008, les investisseurs suisses sont devenus beaucoup plus réticents à investir à l'étranger, notamment aux USA, alors que les investisseurs de nombreux pays recherchent la sécurité des investissements en Suisse. En même temps, la demande pour nos B&S est restée forte, donc la balance commerciale allait rester largement excédentaire sans changement du taux de change. La forte demande des investisseurs étrangers pour nos actifs et l'excédent soutenu de notre balance commerciale exercent ensemble une forte pression à la hausse sur le franc par rapport au dollar notamment.
Evidemment, les entreprises suisses qui exportent une grande partie de leur production préfèrent que le franc ne s'apprécie pas. Elles ont réussi à convaincre la Banque Nationale Suisse de se substituer aux investisseurs suisses pour acheter des actifs étrangers et provoquer ainsi le déficit de la balance financière nécessaire pour financier l'excédent de la balance commerciale. La BNS a massivement acheté des dollars et autres monnaies pour répondre à l'excédent de demande pour le franc de la part des acteurs privés. Elle a utilisé ces devises pour acheter des actifs aux USA et ailleurs.
On a beaucoup parlé des sommes gigantesques investies par la BNS dans des entreprises de l'industrie fossile, notamment aux Etats-Unis. Ce n'est pas le sujet de mon blog. Plutôt la constatation que la BNS juge compatible avec son mandat légal de prêter des capitaux au reste du monde pour qu'il achète des B&S suisses, alors qu'elle déclare incompatible avec son mandat de prêter des capitaux aux communes, entreprises et particuliers qui souhaitent investir dans la transition énergétique du pays. Evidemment, laisser s'apprécier le franc nuirait à court terme aux entreprises fortement tournées vers les marchés internationaux, mais financer la transition énergétique en Suisse profiterait aux entreprises tournées vers le marché intérieur.