M. Hamidi
À ce jour, toutes les activités économiques humaines ont été subordonnées aux ressources matérielles et énergétiques de la terre, et il est reconnu depuis longtemps que les développements de l’exploration spatiale pourraient essentiellement ouvrir notre économie planétaire fermée à des ressources externes illimitées d’énergie et de matières premières. En d’autres termes, l’exploration durable et abordable de la Lune (et au-delà) nécessite la production de consommables pour des activités autonomes ou humaines à partir de matières premières trouvées in situ sur la Lune ou d’autres corps planétaires, une approche connue sous le nom d’utilisation des ressources in situ (ou ISRU pour In-Situ Resource Utilization). L’objectif le plus important de l’ISRU est sans doute la production d’oxygène à partir de matériaux lunaires pour le maintien de la vie humaine et la propulsion, car l’oxygène liquide est le composant de masse le plus important de nombreuses fusées bipropulsées. Un autre aspect clé de l’ISRU est la production de métaux à partir de matériaux lunaires afin de pouvoir établir une infrastructure lunaire. Par conséquent, il serait avantageux d’employer un procédé qui permette de produire à la fois de l’oxygène et des métaux. Le succès à long terme de l’ISRU ne sera assuré qu’en conservant la vision “vivre de la terre” tout en envoyant de petites charges utiles sur la surface lunaire afin de susciter l’intérêt, l’expertise et la sensibilisation de la communauté spatiale.
En outre, l’incorporation de la fabrication additive (AM) dans l’ISRU nous permet de progresser au-delà de la fourniture de consommables vers la construction d’objets complexes à l’aide de matériaux transformés et de constructions en couches. Les produits de l’écologie lunaire constituent des matières premières pour l’AM qui fournit une technique de fabrication à usage général sans les déchets inhérents aux techniques soustractives traditionnelles.
Sur la base de l’analyse de divers échantillons des missions Luna et Apollo, on sait que l’oxygène est l’élément le plus abondant dans le régolithe lunaire, représentant 40 à 45% en masse. Cependant, cet oxygène est chimiquement lié au matériau du régolithe sous forme d’oxydes, sous forme de minéraux, et il n’est pas disponible pour une utilisation immédiate. D’autres ressources chimiques et minérales, comme les métaux, sont considérées comme des ressources précieuses, d’autant plus qu’elles sont souvent produites comme sous-produits des processus d’extraction. En conséquence, après l’extraction de l’oxygène du régolithe lunaire, il reste un mélange d’éléments métalliques et métalloïdes (par exemple, Al, Ti, Fe, Mg, Ca, Na et Si) qui pourraient être utilisés pour la fabrication des pièces structurelles requises sur la surface lunaire (et d’autres corps planétaires).
Le projet AMISRU est financé bilatéralement par l’Agence spatiale européenne (ESA) – Open Space Innovation Platform (OSIP) et le Swiss Space Center (SSC) – Mesure du Positionnement (MdP2020) pour deux ans d’études se déroulant conjointement au Laboratoire de Métallurgie Thermomécanique (LMTM) et au Space Center (eSpace) de l’EPFL. L’étude se concentre sur l’investigation en profondeur de l’interaction laser-matériau (sous-produit métallique de l’ISRU) en termes de phénomènes thermomécaniques et dynamiques des fluides. L’étude utilise un système de fabrication additive par fusion laser sur lit de poudre (LPBF) incorporant un module de manipulation du faisceau laser de pointe et des technologies d’observation in situ pour acquérir un contrôle maximal de la zone d’interaction laser-matériau. De plus, au lieu des méthodes conventionnelles d’optimisation des processus qui nécessitent de nombreux essais et erreurs, le projet utilise une analyse numérique utilisant la méthode des éléments finis (FEM) et des algorithmes d’apprentissage automatique pour minimiser les ressources requises.
Le traitement par laser des sous-produits métalliques de l’ISRU pourrait présenter un défi majeur en comparaison avec les matériaux employés à ce jour pour la LPBF. Cela est dû à la composition chimique hétérogène de ces matériaux, aux quantités élevées d’éléments à faible pression de vapeur tels que Mg, Ca, Na et à l’oxygène restant du processus d’extraction. Ces caractéristiques peuvent entraîner une évaporation importante des éléments pendant la formation du bain de fusion et une pression de recul massive exercée sur la surface du bain de fusion, ce qui pourrait conduire à des instabilités du bain de fusion jamais observées auparavant. Les instabilités du bain de fusion pourraient entraîner la production d’éclaboussures, de porosités et la rupture du bain de fusion, laissant derrière elles un matériau présentant des niveaux de porosité et de précision dimensionnelle inadaptés. De plus, ces matières premières possèdent des géométries de poudre irrégulières qui pourraient inhiber la fluidité et la capacité d’étalement de la matière première sur le lit de poudre ; une difficulté supplémentaire s’ajoutant la complexité du processus.
En conséquence, le fait d’avoir un contrôle maximal sur le processus peut réduire de manière significative les difficultés du processus utilisant les sous-produits métalliques ISRU. Le projet accordera également une attention particulière à la distribution particulière de tailles des particules et à leur géométrie en cherchant des méthodes d’amélioration applicables sur la matière première correspondante. En outre, la recyclabilité des matières premières et des pièces de construction joue un rôle important dans le domaine de la fabrication dans l’espace, qui sera étudié de manière approfondie dans le cadre du projet actuel.
Enfin, le projet vise à déterminer les caractéristiques matérielles et mécaniques complètes des pièces produites. L’objectif est également la stabilité du processus pour avoir une approche répétable et reproductible.
AMISRU fait partie d’une feuille de route beaucoup plus large qui pourrait s’étendre sur les 10 prochaines années, couvrant un certain nombre de technologies de traitement potentielles, la conception de nouveaux systèmes d’alliages métalliques basés sur les éléments présents sur les corps planétaires d’intérêt, etc.