QUELQUES MOTS D'HISTOIRE SUR LE CENTRE INTERDISCIPLINAIRE DE MICROSCOPE ÉLECTRONIQUE
Avant…
11 juillet 1966, 20h15, le Professeur Maurice Cosandey, Directeur de l’EPUL, ouvre une séance de travail avec ses collègues les Professeurs Jacques Paschoud et Maurice Martenet (Laboratoire d’essai des métaux), Jean-Pierre Borel (Laboratoire de physique technique), Bernard Vittoz (Laboratoire de génie atomique) et Henri Benoît. A l’ordre du jour figure l’émergence de nouveaux domaines d’intérêt: la sidérurgie voit l’importance de la métallurgie grandir, la miniaturisation en mécanique appelle la microtechnique, la grande industrie s’inquiète de la réponse des Hautes Ecoles à cette évolution. L’état des lieux fait ressortir que les Professeurs Willy Form et Samuel Steinemann réagissent déjà à l’Université de Neuchâtel et à l’Université de Lausanne. Le Doyen de la première envisage toutefois un effort initial tourné plutôt vers l’industrie horlogère. Ces enseignements sont plus proches de la formation académique plutôt que de celle de l’ingénieur. L’ETHZ envisage de créer une nouvelle chaire et un institut de métallurgie. L’EPUL se doit de participer à cette nouvelle direction de formation et de recherche. Elle propose une coordination entre Zürich, Neuchâtel et Lausanne. Le Conseil général de l’EPUL donnerait son accord à cette ouverture. Les moyens pour y parvenir seront cependant limités et un objectif précis doit être fixé.
Les participants à cette séance notent que les bases nécessaires pour l’enseignement existent déjà à l’Ecole, sauf peut-être en métallurgie structurale. Elles pourraient être étoffées rapidement à partir des cours de connaissance des métaux et de physique du solide. Une orientation “métallurgique” serait ainsi rapidement ajoutée aux cursus des ingénieurs physiciens et des ingénieurs mécaniciens.
Des doctorats en cours témoignent de l’existence d’une recherche dans ce domaine. Si les moyens disponibles dans chaque laboratoire sont sous-critiques, leur mise en réseau constituerait un parc d’instruments étendu et efficace. Le pont souhaité entre la métallurgie et la physique passe d’abord par une meilleure coopération interlaboratoire, éventuellement un regroupement des moyens dans un organe central.
Cette réflexion aboutira six mois plus tard. Le 13 janvier 1967, le Conseil d’Etat du Canton de Vaud crée “l’Institut de Métallurgie” formé du département “enseignement et recherche subventionnée” du Laboratoire d’essai des métaux, du département “physique du solide” du Laboratoire de physique technique et du département “physique du solide” du Laboratoire de génie atomique. Cet espace de travail et de communication est destiné à coordonner l’enseignement de la métallurgie d’une part et à stimuler la créativité et les contacts entre chercheurs d’autre part. Il n’a pas de moyens propres. Première conséquence importante sur le plan de la recherche: les professeurs Jacques Paschoud, Jean-Pierre Borel et Bernard Vittoz ouvrent une brèche dans le cloisonnement de leurs unités en convenant “… que l’un des trois laboratoires peut emprunter aux autres laboratoires un appareil, ou utiliser un appareil dans l’un des deux autres laboratoires, à condition que l’activité du laboratoire prêteur ne soit pas entravée par ce prêt ou cette utilisation. Il n’est pas envisagé pour le moment de faire payer une location au laboratoire emprunteur” . La direction de l’institut est de type collégial et le professeur B.Vittoz en assume la première présidence. Il sera suivi par les Professeurs W. Kurz et W. Benoit dans la période considérée ici.
Pour assurer la pérennité de l’oeuvre, un bien à gérer en commun doit être trouvé qui constitue un ciment. Rapidement la microscopie électronique s’impose comme le symbole de la science des matériaux naissante, clé d’accès à la connaissance de la microstructure pour la compréhension des propriétés macroscopiques. Que choisir? Microscope électronique à balayage (SEM) ou à transmission (TEM)? La “grosse loupe” ou le microscope pour traquer la microstructure jusqu’à l’orée de l’empilement atomique? La discussion, serrée, débouche dans l’euphorie du passage de l’EPUL à l’EPFL sur un plan d’investissement ambitieux: priorité au microscope à balayage dont le seul exemplaire en Suisse Romande, à l’Institut Battelle de Genève, n’est guère accessible. Un TEM devrait suivre rapidement. Certes le Centre de Microscopie (CME) de l’UNIL met à disposition de l’EPUL un microscope électronique à transmission. Toutefois celui-ci est optimisé pour l’étude de matériaux biologiques. L’absence de porte-échantillon goniométrique constitue notamment un handicap rédhibitoire pour l’analyse des échantillons cristallins. Et puis pourquoi ne pas envisager de passer rapidement à un microscope électronique à haute tension d’accélération, par exemple 1 MV, pour observer des échantillons épais, sous contrainte thermique ou mécanique, voire sous irradiation, dans des conditions aussi proches que possible de l’état massif?
Le premier sera commandé auprès de la firme française CAMECA (Compagnie d’Applications Mécaniques à l’Electronique, au Cinéma et à l’Atomisique) qui produit déjà les premières microsondes électroniques de Castaing pour la microanalyse X et propose depuis peu un SEM, le MEB 07, beaucoup plus moderne que ses concurrents anglais et japonais. Cette décision se base, outre les caractéristiques techniques, sur la perspective d’une collaboration avec le fournisseur et sur l’encouragemement qu’elle constitue pour une firme dynamique qui s’efforce d’équilibrer les frais de développement d’instruments scientifiques complexes en commercialisant des produits “grand public” (comme le “Scopitone”, ancêtre du vidéo-clip sous la forme d’un juke-box avec des films en boucle fermée).
La firme Castolin encouragera l’EPUL à franchir cette étape vers la métallurgie par un don de Fr. 100’000.- et l’installation du MEB 07 a lieu fin 1970. Un technicien, première dotation en personnel de l’I2M , est engagé pour son exploitation placée sous la responsabilité du Dr. G. Zambelli de l’Institut des Métaux et Machines (IMM) .
Le microscope à transmission, un Philips EM300 de 100 kV de tension d’accélération et 3.5Å ou 9 Å de résolution ponctuelle selon sa pièce polaire, suivra un an plus tard exactement. L’I2M souhaite en confier l’exploitation à un microscopiste expérimenté, francophone, physicien, titulaire d’une thèse en matériaux. Celui-ci ne peut venir que de l’étranger. Les candidats potentiels sont rares. Aucun ne souhaite prendre le risque de s’expatrier et de se couper de son milieu. Finalement l’auteur de ces lignes, alors doctorant du Prof. J.-P. Borel et usager du Centre de Microscopie Electronique de l’UNIL, se chargera de la mise en service de ce microscope et de son exploitation ad intérim avant d’occuper le second poste octroyé à l’I2M et de prendre la responsabilité de l’exploitation de l’ensemble des instruments. Cet appareil aux performances excellentes pour l’époque et à la fiabilité remarquable sera exploité jusqu’en 1996, passant entre les mains de plusieurs centaines d’usagers, étudiants, chercheurs débutants ou chevronnés, sans que la qualité de son optique ne diminue. Il sera mis hors service après quelques 34’000 heures d’observation pour laisser la place à un appareil plus moderne offrant une palette plus large de techniques de mesure ainsi que de meilleurs pouvoirs de pénétration et de résolution.
En accord avec l’esprit qui a présidé à la fondation de l’I2M, son accès est libre et gratuit pour tous ses membres et leurs étudiants. Dans la règle, chacun réalise ses observations lui-même. Le personnel rattaché à l’institut est principalement chargé de former et d’appuyer les usagers, d’assurer les activités de gestion, d’entretien et de développement et de promouvoir la microscopie électronique dans l’Ecole. Il n’intervient comme opérateur que pour les usagers occasionnels, ou lorsque les observations sont particulièrement délicates, ou encore pour des mandats industriels.
L’I2M songe à élargir son champ d’activité. Fin 1972, un dispositif automatique d’analyse morphologique d’image (Quantimet) vient complèter les microscopes. D’autres voeux sont formulés: renforcement de la microscopie électronique, diffraction X, microsonde électronique, cristallogenèse d’un matériau ultra-pur. Mais l’embauche de personnel s’est tarie entre-temps sous l’effet du blocage du personnel de la Confédération. Ainsi l’analyse d’image ne parviendra pas à son régime de croisière faute d’être appuyée par un responsable scientifique pour en assurer la promotion et pour reformuler les problèmes des utilisateurs en termes de morphologie mathématique. Cette voie sera abandonnée quelques années plus tard. Le projet de cristallogénèse est gourmand en personnel. De plus, les partenaires ne s’accordent pas sur la nature du matériau d’intérêt commun. Il ne verra pas le jour.
L’esprit de collaboration palliera cette fois encore au manque de moyens. De nouvelles barrières tomberont et l’analyse ultrastructurale lausannoise va s’organiser. Les Professeurs S. Steinemann et L. Rinderer de l’Institut de physique expérimentale de l’UNIL, Monsieur A. Gautier directeur du CME et le Prof. W. Kurz président de l’I2M conviennent d’un accord de libre accès réciproque sur les installations de diffraction des RX et sur la microsonde électronique, sur les microscopes électroniques du CME et sur ceux de l’EPFL respectivement. Esprit de complémentarité aussi: les techniques de microscopie électronique sont très différentes qu’il s’agisse d’observer des matériaux biologiques, essentiellement hydratés, amorphes et constitué d’éléments légers H, C…, ou des matériaux non-biologiques le plus souvent cristallins et constitués d’éléments plus lourds. La microscopie du CME est déjà fortement orientée vers le domaine de la biologie et de la médecine. L’UNIL poursuivra donc dans cette voie et l’EPFL développera le domaine de la matière inerte. Les chercheurs auront libre accès aux installations les mieux adaptées et bénéficieront de l’appui des équipes les plus compétentes quelle que soit leur appartenance.
Parallèlement au développement de l’enseignement de la science des matériaux dans l’Ecole, l’I2M organise des cours post-grade dès 1972: “Cours de 3ème cycle de métallurgie” plus particulièrement destiné à rappeler les ingénieurs de l’industrie sur les bancs de l’Ecole pour remettre à jour leurs connaissances, école de printemps “Interaction des électrons avec la matière condensée” dans le cadre des cours de perfectionnement de l’AVCP , “Méthodes d’analyse des surfaces. Théorie et applications”… ainsi que diverses journées thématiques.
Une nouvelle étape en 1975
Une nouvelle étape sera franchie en 1975. Les usagers de l’I2M décident de renforcer prioritairement l’activité de microscopie. Un TEM à moyenne tension, le JEOL 200B de 200 kV de tension d’accélération constitue un pas vers les moyennes tensions. La réalisation en collaboration avec l’Intitut de génie atomique d’un porte-échantillon de déformation par traction opérant entre la température de l’hélium liquide et +150 °C ouvre la voie à l’expérimentation in-situ. Les propositions d’élargissement vers la microanalyse par spectromérie de photoélectrons ESCA, la topographie RX et la diffraction RX aux petits angles se heurteront une fois encore à l’insuffisance des moyens en personel et seront concrétisées au sein de laboratoires du département des matériaux. Seule concession, un second poste de collaborateur scientifique est accordé à l’I2M en 1978. Ce poste et la personnalité de celui qui va l’occuper, le Dr. P. Stadelmann, joueront un rôle capital dans l’orientation future de l’institut.
Au terme de cette première décade, de nouveau instituts ou laboratoires ont rejoint l’I2M: Institut de physique appliquée (Prof. E. Moser, Dr. F. Lévy), Laboratoires de métallurgie physique (Prof. W. Kurz) et de métallurgie chimique (Prof. D. Landolt), Laboratoire de céramiques (Prof. A. Mocellin). L’institut a acquis le savoir faire de la microscopie électronique expérimentale en suivant une approche relativement descriptive. Il l’applique à l’étude des défauts cristallins dans de nombreux systèmes, à leur observation dynamique lors d’expériences in situ, aux transitions de phases (commensurable/incommensurable, displacives…), à la caractérisation de films minces et de nanoparticules métalliques ou d’oxydes à effet de taille. Les bases étant acquises, le Dr. P. Stadelmann suggère d’aborder une approche plus physique de la microscopie. Dans un premier temps, il propose de développer les bases conceptuelles et d’écrire un programme pour extraire l’information présente dans les images de microscopie à balayage (déconvolution de l’effet de la taille de la sonde, correction de la dérive de l’image…). Ce projet, jugé trop ambitieux par l’assemblée de l’I2M, est rejeté. Qu’à cela ne tienne, il se tournera dès 1979 vers la microscopie à transmission et écrira en quelques sept ans le jeu de programmse EMS pour le calcul des intensités diffractées et la simulation d’image. Celui-ci représente aujourd’hui encore un outil unique par sa généralité, par son domaine d’application et par la rigueur de son écriture. Il a été diffusé dans plusieurs centaines de laboratoires de microscopie électronique et l’I2M lui doit une large part de sa réputation internationale.
Conséquence directe de l’élargissement de l’I2M, le nombre d’utilisateurs de la microscopie augmente. La structure très informelle du mécanisme décisionnel qui préside à l’évolution de l’I2M atteint ses limites. La perspective du déménagement sur le nouveau site d’Ecublens provoque la première alerte sérieuse quant à l’avenir de l’institut. Quel sera son emplacement géographique définitif alors que DP et DMX se trouveront diamétralement opposés sur le terrain? A mi-distance? Chez l’un ou chez l’autre au risque à terme de se fondre dans le département hôte? Comment l’I2M gérera-t-il la période transitoire de quelques huit ans durant laquelle la Physique aura déjà rejoint Ecublens alors que les Matériaux seront toujours aux Cèdres? Ne serait-il pas préférable de scinder l’Institut? Une fois encore, la volonté de collaborer l’emportera.
Mais cette alerte poussera les partenaires à structurer l’I2M. Il deviendra en 1982 une unité hors département, ouverte à tout étudiant ou collaborateur de l’EPFL, directement rattachée à la Présidence de l’Ecole. Physique du solide et science des matériaux ont appris à se connaître , les barrières interlaboratoires sont largement tombées. Son activité peut dès lors se recentrer sur la seule microscopie électronique. Son nom devient “Institut Interdépartemental de Microscopie Electronique” tout en conservant le sigle I2M. Sa gestion sera toujours assurée par ses utilisateurs:
- Une assemblée – législatif – de neuf délégués du DP et autant du DMX qui se réunit annuellement, qui décide des lignes d’action, avalise les demandes budgétaires et les rapports d’activité,
- Un conseil – exécutif – constitué de deux membres du DMX, de deux membres du DP et du directeur de l’institut qui se réunit en moyenne tous les deux mois. Ses membres assument à tour de rôle sa présidence pour une durée d’un an,
- Un directeur de l’institut subordonné au conseil pour son activité, mais dépendant administrativement du président de l’Ecole.
Ce changement de statut s’accompagne aussi une réorientation de la mission de l’I2M. Il mènera désormais une recherche en propre, financée par des fonds extérieurs, parallèlement à son activité de centre d’Ecole voué aux observations de service et à la collaboration avec ses usagers (formation, conseil, recherche partagée). L’idée initiale, lieu de rencontre et d’échange, est conservée. Ainsi les intéressés continuent à réaliser eux-mêmes leurs observations et le recours à un opérateur de service est réservé aux utilisateurs occasionnels ou aux mesures de haute technicité.
Cette structure fonctionne encore à l’heure actuelle avec succès. Les délégations se sont ouvertes aux autres départements selon une clé qui attribue les sièges en fonction du nombre d’heures d’utilisation des microscopes. Un délégué de l’UNIL est membre d’office de l’assemblée pour garantir la coordination de la microscopie électronique à l’échelle lausannoise. Le directeur du CIME et deux de ses collaborateurs siègent aussi à l’Assemblée pour y apporter leur vision de l’activité de service et y représenter leur recherche propre.
Cette structure a permis de doter l’EPFL d’un centre de microscopie exemplaire ouvert à tous, des étudiants de second cycle aux chercheurs les plus avancés, ainsi qu’aux collaborateurs de laboratoires privés, soit annuellement quelques 120 opérateurs-usagers. Les moyens techniques sont importants et excellents (4 TEMs et 4 SEMs, dont deux instruments de pointe de chaque type). La réunion en un lieu unique des instruments lourds permet de réserver les investissement à la seule acquisition des instruments de pointe, fortement différenciés et spécialisés, et d’en augmenter ainsi la fréquence de renouvellement pour assurer un suivi optimal de l’évolution des techniques. Le parc de microscopes de routine est alimenté par reconfiguration des instruments de pointe les plus anciens. L’encadrement, au bénéfice d’une expérience s’étendant à un vaste domaine de recherche est compétent et disponible. Le mode de fonctionnement original démontre qu’il est possible de mettre des instruments complexes et relativement délicats entre les mains d’un nombreux public d’utilisateurs. De plus il permet d’atteindre une rentabilité des investissements particulièrement élevée au sens des taux d’utilisation grâce à un réservoir étoffé d’intéressés pour les techniques avancées et à la mise en parallèle des instruments de routine pour le public, plus nombreux, de la microscopie conventionnelle, soit au total quelques 20’000 heures annuelles de travail sur les 8 microscopes. Dans ces conditions particulièrement favorables, des études remarquables ont été et sont réalisées tant sur le plan de la microscopie électronique pure que dans le domaine de la science des matériaux ou de la physique du solide. Plus d’une centaine de publications dans des actes de congrès et des revues internationales ainsi que qu’une dizaine de thèses en témoignent chaque année. Seule ombre au tableau, moins de la moitié des 12 collaborateurs qui apportent leur concours à l’exploitation du CIME bénéficient aujourd’hui de postes d’Etat garants de leur altruisme pour former et assister les usagers. Aussi l’introduction récente d’une facturation des heures d’observation, même partielle, pour contribuer aux coûts salariaux du CIME constitue-t-elle une première atteinte à l’esprit mutualiste des pionniers… ou son aboutissement?