Projet SNSF Ambizione 2020 – Histoire suisse
Chercheur : Alexandre Elsig
Institution de recherche : EPFL Collège des humanités
Discipline principale : Histoire suisse
Début/Fin 01.09.2020 – 31.08.2024
La contamination du monde par les substances toxiques est globale, ubiquitaire, peut-être irréversible. Pour ne prendre qu’un exemple marquant de cette prolifération pathogène, des PCB sont désormais décelés depuis les abysses de la fosse des Mariannes jusqu’aux glaces de l’Arctique, en passant par les sédiments du Rhône ou du lac Léman. Ce projet cherche à comprendre quelles ont été les controverses scientifiques, politiques et sociales qui ont accompagné l’intégration de trois substances toxiques – le mercure, le fluor et les PCB – dans les écosystèmes et les corps tout au long du vingtième siècle, avec une intensité accrue durant les prétendues “Trente Glorieuses”.
En suivant la célèbre formule de Paracelse, c’est la dose qui fait le poison, mais dès lors, qui fait la dose ? Qui décide des valeurs limites admissibles et selon quels facteurs ? Comment se négocie l’équilibre entre principe de précaution sanitaire d’un côté et capacités financières et techniques d’épuration évoquées par les industriels de l’autre ?
Cette histoire sociale et transnationale de la production des savoirs questionnera la posture des experts scientifiques mobilisés, le poids des lobbies industriels et leur capacité à fabriquer du doute, les capacités de pression des mouvements sociaux et de leur approche profane et militante et enfin l’arbitrage d’autorités publiques marquées par des idéaux technocratiques de confinement de la toxicité.
La recherche investiguera l’étude de la régulation de trois substances polluantes emblématiques d’une deuxième industrialisation qui a façonné le secteur secondaire en Suisse : un métal lourd, le mercure, un élément chimique, le fluor et un polluant organique persistant, les PCB. Elle le fera à l’échelle locale et nationale en s’intéressant à l’industrie du chlore et de la pétrochimie, à l’industrie de l’aluminium et à l’industrie électrotechnique, mais aussi à l’échelle globale, là où se discute et se décide la mise aux normes de ces substances, principalement au sein de l’Organisation internationale du travail (OIT), de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE).
Explorant un large corpus d’archives inédites, l’étude permettra d’appréhender quels sont les pôles déterminants pour la légitimation des savoirs concernant la toxicité, comment ces savoirs circulent, s’hybrident, s’affrontent aussi et comment et pourquoi certains savoirs sont décodés politiquement alors que d’autres sont marginalisés.
Le rôle social de l’histoire ne doit pas être négligé dans l’exploration d’une problématique qui mêle, matériellement, passé et présent : même lorsque les produits polluants ont été interdits, leur héritage toxique continue à agir sur les territoires, les corps mais aussi sur les esprits. L’histoire peut alors être prise à partie, à charge ou à décharge, d’autant que l’assainissement de nombreux sites contaminés ou la reconnaissance des maladies professionnelles représentent un enjeu financier conséquent lié à la question des responsabilités de ces contaminations.
Par son caractère revendiqué d’histoire du temps présent, cette enquête demande enfin une collaboration accrue entre sciences humaines et sociales et sciences et ingénierie de l’environnement et cet échange interdisciplinaire sera offert par la réalisation du projet au Collège des humanités de l’EPFL, observatoire privilégié des rapports complexes entre recherche appliquée et recherche fondamentale, entre épistémologie et « agnotologie », entre savoir et pouvoir.